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Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/675

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convictions sincères, les sentimens généreux, l’éloquence du cœur ont une action irrésistible sur les peuples. Aussi la question de gouvernement leur paraissait-elle secondaire et facile à résoudre. Ils étaient persuadés qu’une fois les abus extirpés, les injustices réparées, le corps social épuré et renouvelé, les hommes se gouverneraient d’eux-mêmes, qu’il suffirait de leur révéler leurs vrais intérêts pour qu’ils s’y attachassent, et que leurs passions mêmes conspireraient avec leur raison et avec la félicité publique.

Pleins de respect pour l’homme abstrait, qui n’est qu’une entité métaphysique ? , et le retrouvant dans le dernier des humains, ils étaient égalitaires dans l’âme. Ainsi s’explique la haine féroce qu’ils ressentaient pour le régime féodal, pour les restes encore subsistans de ce moyen âge, qui, confondant les idées de propriété et de souveraineté, donnait à l’homme des droits sur l’homme et autorisait tout possesseur de terre noble à recevoir des hommages et à commander à des serfs. La philosophie du commencement et du milieu du siècle avait sans doute exercé sur eux une grande influence, mais ils l’avaient accommodée à leur façon, à leur guise, amalgamant ensemble des systèmes inconciliables, dont ils ne gardaient que ce qui pouvait leur convenir, c’est-à-dire un certain nombre d’idées moyennes, accessibles à tous les esprits et qui prêtaient à l’éloquence. C’est avec les idées moyennes, les seules à l’usage des orateurs, qu’on prépare les révolutions qui réussissent. D’ailleurs les hommes sensibles sont tous des éclectiques ; ils empruntent aux doctrines ce qui leur plait et écartent avec soin les vérités triâtes, tout ce qui gêne, contrarie ou chagrine leur imagination.

L’optimisme était une disposition à la mode dans ces délicieuses premières années du règne de Louis XVI, qui furent une de ces oasis de l’histoire qu’il est doux d’habiter. On avait des mœurs humaines, l’âme généreuse, l’esprit ouvert aux nouveautés, toutes les bonnes intentions et la certitude qu’il suffit de vouloir le bien pour le faire. On aimait les bergeries, les idylles ; si raisonnable qu’on fût, on croyait à la magie, au merveilleux, aux baguettes qui font des miracles, et on pensait que les moyens aimables suffisent pour amener à perfection les dressages les plus difficiles. Ce goût d’espérer et de croire, cet esprit de confiance un peu chimérique dans les destinées de notre espèce se retrouvent dans tous les écrivains, dans tous les penseurs du temps, qu’ils s’appellent Vicq d’Azyr ou Turgot ou Bernardin de Saint-Pierre. En revenant des Pyrénées, Ramond déclarait que les montagnes révèlent à l’homme sa bonté naturelle, qu’il est impossible de les gravir « sans se trouver régénéré et sentir avec surprise qu’on a laissé