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présomption ou par interprétation. C’est là le danger de ce procès qui peut placer le sénat dans l’alternative de rendre un jugement de parti, un arrêt d’animosité, — ou de prononcer une absolution qui serait la condamnation du gouvernement.

A parler franchement, l’attentat le plus vrai, le plus évident de M. le général Boulanger, c’est une ambition agitatrice, dangereuse pour le pays, et ce genre d’attentat, ce n’est pas par un arrêt de haute cour qu’on peut le combattre avec quelque efficacité, pas plus que par des expédiens électoraux destinés à fractionner ou à neutraliser des candidatures. L’inconvénient de ces mesures est de ressembler toujours à une affaire de circonstance ou de personne. On dirait depuis quelque temps, en vérité, qu’il n’a plus que M. le général Boulanger. On voudrait exalter son importance qu’on ne s’y prendrait pas mieux. Tout ce qu’on fait, c’est contre M. le général Boulanger. Il y a quelques mois, sous le coup de l’élection du 27 janvier, on rétablissait le scrutin d’arrondissement après avoir toujours préconisé le scrutin de liste, et c’était tout simplement, on ne le cachait pas, une tactique, une précaution contre les candidatures plébiscitaires. L’autre jour, avant sa séparation, la chambre, sans examen, sans nommer même une commission, sans se conformer aux plus simples règles parlementaires, a voté une loi contre les candidatures multiples, avec les peines les plus sévères contre les complices de ces candidatures, — et c’est toujours contre M. le général Boulanger ! De quelque façon qu’on l’explique, c’est évidemment une loi de panique et de défiance, une limitation du droit électoral, une sorte de mise en tutelle du suffrage universel. Et cette panique d’une chambre expirante, de quelques chefs de partis effarés, semble d’autant plus étrange aujourd’hui que les élections des conseils-généraux, en trompant toutes les espérances de M. le général Boulanger, qui a pu pourtant donner libre carrière à ses fantaisies de candidat, viennent de montrer ce qu’il y a d’inutile et de puéril dans ces artifices de la peur.

Ce n’est pas tout. Il y a aujourd’hui, depuis quelque temps, on n’en peut douter, une véritable campagne contre les fonctionnaires suspects. Des circulaires ministérielles récentes ont donné le ton en mettant tous les serviteurs de l’état aux ordres des préfets, en leur imposant, non plus seulement la réserve, la fidélité à leurs devoirs, ce qui serait tout simple, mais une participation active aux luttes politiques. Et ce n’est pas à Paris que cela se fait sentir le plus, quoiqu’il y ait eu, même à Paris, de récentes disgrâces ; c’est surtout au fond des provinces que se manifeste sous toutes les formes cette recrudescence de pression officielle, dont la révocation est assez souvent l’inévitable sanction. Il n’y a pas à l’heure qu’il est une petite ville, un canton, où les délateurs ne soient à l’œuvre, où les plus modestes employés ne soient épiés, déplacés, révoqués ou menacés. Qu’est-ce à dire cependant ? La chose