Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est peut-être piquante. Après vingt ans écoulés, il n’y a plus guère de vieux fonctionnaires liés aux régimes anciens par leurs souvenirs et par leurs regrets : ceux qui sont restés, qui ont échappé aux oscillations de la politique, ne sont pas des ennemis dangereux. Depuis dix ans, tout a changé, les épurations se sont succédé dans la magistrature, dans l’administration. La république a eu le temps de se créer son personnel, et s’il faut encore des épurations nouvelles, cela prouverait que les ministères républicains qui ont passé au pouvoir n’ont fait que de médiocres choix dans leur clientèle ou qu’ils ont laissé dépérir les traditions de régularité, de fidélité dans le service de l’état. Les ministres d’aujourd’hui veulent des fonctionnaires qui marchent comme un régiment, qui se compromettent, et ceux qui procèdent ainsi ne voient pas qu’ils irritent sans intimider et ne font qu’achever la désorganisation administrative, qu’ils n’ont plus désormais rien à dire des révocations du 16 mai, des candidatures officielles. Ils sont en train de perfectionner le système. — Mais enfin, dira-t-on, on ne peut pas rester désarmé ! le gouvernement serait trop naïf de se laisser attaquer sans se défendre.

Eh ! sans doute, le gouvernement a le droit de se défendre contre toutes les attaques, contre l’esprit de dictature, contre les fonctionnaires infidèles ; mais ce n’est pas en compromettant la justice, le Sénat lui-même dans des procès hasardeux, en improvisant de petits expédions de scrutin, en procédant par les révocations et les épurations à outrance dans les services publics qu’il se défendra. Le meilleur moyen de combattre l’esprit de dictature, c’est de lui opposer les garanties des institutions libres, la libéralité et la dignité du pouvoir. Et qu’on ne se hâte pas trop de triompher des élections récentes des conseils généraux, d’y voir la confirmation et la justification des actes que le gouvernement appelle sa défense. M. le général Boulanger, et c’est fort heureux, a échoué assez piteusement dans sa campagne de candidat errant et universel ; mais ce serait une étrange illusion de croire que le pays, en refusant de se prêter aux fantaisies plébiscitaires de M. le général Boulanger, se tient pour satisfait de se sentir sous l’égide de M. Constans et de M. Thévenet ; ce serait surtout la plus dangereuse des méprises, de croire que le pays a entendu voter pour la continuation d’une politique qui, en dix ans de règne, ne lui a donné que l’avilissement des mœurs publiques, le trouble dans sa vie morale, le déficit dans ses finances, l’effacement dans ses affaires extérieures. Depuis que le repos du monde est si bien protégé et garanti par les grandes alliances, par la ligue de la paix, il ne peut plus se passer un mois, pas même une semaine, fût-ce par cette saison d’été, sans qu’il y ait quelque alerte nouvelle, sans que les bruits suspects courent à travers l’Europe. C’est une histoire qui recommence sans cesse avec une désespérante monotonie. A peine se croit-on pour quelque temps