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gens ? Je trouve une marchande à la toilette, effrontée commère, et un marquis toujours ivre.

Le XVIIIe siècle reçoit donc du XVIIe une comédie substantielle, étoffée, colorée, largement traitée plutôt que finement, avec plus de verve que de délicatesse. On aurait pu croire que la fièvre de plaisir et de libertinage qui emporta, sous la régence, la société française, allégée enfin du triste joug d’un vieux roi dévot, allait mettre la comédie plus à l’aise encore et la lancer dans la satire plus débridée et la folie plus libre. Ce fut le contraire qui arriva. Regnard venait de mourir. Daucourt le suivit bientôt. Le Sage abandonna la Comédie-Française pour le théâtre de la Foire, et réserva pour le roman le meilleur de son observation ; les survivans du siècle précédent une fois disparus, à peine trouverons-nous, de loin en loin, une œuvre qui rappelle leur facture et leur esprit. Déjà Dufresny, que M. Lenient nous présente entre Regnard et Daucourt, Dufresny, esprit chercheur, paradoxal, pétillant de mots, incapable de luire une pièce, annonçait des temps nouveaux. En sorte que les vrais peintres de la régence, qui nous en font sentir l’ivresse emportée, sont ceux qui firent le Légataire, le Chevalier à la mode et Turcaret, avant la régence.

Comment cela se lit-il ? et comment la comédie changea-t-elle ? Tout d’abord il n’est pas sans exemple que la maladie morale dont un siècle est consumé n’ait jamais été mieux décrite que par un observateur qui l’a prise à sa naissance. Elle est plus facile à reconnaître à l’état d’exception dans la société que lorsqu’elle a tout envahi et môle partout son influence. Et puis le goût littéraire ne se règle pas toujours sur les mœurs. Il ne faut pas chercher au théâtre l’équivalent de la vie sous la régence. La comédie a changé de ton ; et, quelles que soient les mœurs, le goût lui impose sa forme et lui choisit ses objets. En effet, pendant que sous la sévérité hypocrite qu’imposait l’exemple du vieux roi, les mœurs devenaient plus licencieuses et plus grossières, le goût se raffinait et s’embarrassait de scrupules étroits. Les âmes étant moins fortes, d’une trempe plus molle, les tempéramens ayant moins de muscles que de nerfs, les esprits aussi, moins vigoureux, goûtèrent l’élégance, l’agrément, la finesse par-dessus tout. La politesse et l’étiquette mondaines, après avoir supprimé les expansions des passions, ont étouffé les passions elles-mêmes : après avoir réglé les dehors de l’homme, elles en ont imprégné tout le dedans et ont enfin donné la loi aux pensées et aux paroles. Ce qui n’était que le frein des âmes en est devenu le ressort. L’homme du monde, aimable, spirituel, souriant, froid, sans écart et sans éclat, est maintenant l’idéal où tout se ramène. On exige que le livre et la pièce soient faits à sa mesure. Les sociétés les plus diverses, les