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tableau d’Horace Vernet. Et pourtant ils sont d’hier, tous ces noms de généraux africains inscrits dans le marabout d’Abd-er-Rahman, et qui sonnent là comme des coups de clairon. Quelques-uns même sont encore d’aujourd’hui ; on pourrait rencontrer dans la mosquée, cherchant ses souvenirs, l’un des adversaires d’Abd-el-Kader ; et l’on s’étonnerait une fois de plus que nous la laissions se rouiller dans l’inaction, la savante épée qui devrait être le soutien et la parure de notre relèvement national. — L’exposition algérienne atteste un développement agricole de bon augure ; le pays demande une nouvelle fortune à la culture de la vigne ; il se présente à nous, cette année, comme une succursale du Bordelais. Mais pourrons-nous corriger les traditions invétérées qui ont consommé le divorce entre l’indigène et ses maîtres ? Elles ont fait de notre seule colonie de peuplement une image trop fidèle de la métropole, rongée par la politique, par des passions et des chimères d’autant plus dangereuses que nous n’avons pas toujours peuplé cette terre avec le meilleur de notre sang.

En passant de l’Algérie à son complément naturel, la section tunisienne, on arrive à l’histoire récente, à la méthode nouvelle qui règle l’expansion de l’Europe sur le monde : la demi-conquête, le protectorat. Cette méthode nous a réussi à merveille dans la régence ; en peu d’années, sans qu’il nous en coûtât une goutte de sang, nous avons fait là œuvre solide. Quand on parcourt l’exposition de Tunis, où cette œuvre est mise en évidence avec beaucoup d’habileté, il semble qu’on assiste à une résurrection de la puissance romaine, exhumée par nous en même temps que les aqueducs, les citernes, les temples de Suffetula et de Thugga, dont nous avons dégagé les belles ruines. D’où vient ce succès, inespéré au début, reconnu aujourd’hui par tous les gens de bonne foi ? Il n’est que juste d’en rappeler la cause. Notre gouvernement, ayant mis la main sur un homme à la hauteur de la tâche, a eu pour une fois le bon sens de lui laisser du temps et de la liberté d’action. Cet homme a su pénétrer l’esprit musulman, il a transformé un vieil organisme sans le briser, sans heurter les mœurs ni exaspérer les préjugés des indigènes ; entre ces préjugés et ceux que nos brouillons colportent au dehors, il a préféré respecter les premiers, pour montrer à nos cliens que leur intérêt s’accorde avec le nôtre ; il a fait de l’administration, et non de la politique d’exportation. La Tunisie est un exemple unique, nous pouvons l’exposer avec fierté ; mais il convient surtout de le méditer, pour en tirer profit dans le reste de notre empire ; le même procédé de greffé prudente, appliqué avec suite par une main libre d’entraves, donnerait peut-être ailleurs les mêmes fruits.