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un pensionnat genevois, où ce futur roi partage son lit avec le fils d’un pasteur protestant, qui lui reprochait de trop bouger et le traitait de mauvais coucheur. Cependant Napoléon a connu la défaite, l’heure des restaurations a sonné. Le 21 mai 1814, Victor-Emmanuel Ier a repris possession de sa capitale, où il rentre avec sa perruque, son catogan et son chapeau à la Frédéric II. Il a quatre filles, que la loi salique exclut du trône. Son successeur sera son frère Charles-Félix, qui lui-même n’a point de fils, et après la mort de Charles-Félix, la couronne passera à la branche cadette, aux Carignan, et Charles-Albert sera roi. Mais en dépit de la loi salique, M. de Metternich s’est promis secrètement de le dépouiller de ses droits ; pendant de longues années, le jeune héritier présomptif sera sur le qui-vive et devra défendre son bien contre les vautours et les renards.

On l’a rappelé en Piémont, et dès 1816 il tient sa petite cour dans le château des Carignan, à Raconis. En sa qualité de prince royal, il se plaît, selon la règle, à contrecarrer la politique absolutiste du roi régnant. Il lie commerce avec les libéraux italiens, et comme le disait un de ses serviteurs, « il ne sent pas la queue de la poêle lui rougir dans la main. » Une conspiration militaire éclate en 1821, et il se voit condamné à choisir entre ses goûts et son devoir, entre ses amitiés et son roi. Il sacrifie ses amis, qui lui reprocheront longtemps sa trahison. L’émeute triomphante a contraint Victor-Emmanuel d’abdiquer ; en attendant le retour de Charles-Félix qui est à Modène, Charles-Albert, nommé régent provisoire, se laisse extorquer une constitution. Le nouveau roi le désavoue et l’exile à Florence. Pour rentrer en grâce, il devra se résigner à d’humiliantes démarches, contracter de tristes engagemens. En 1823, il prouvera qu’il s’est brouillé à jamais avec les libéraux en allant se battre contre les constitutionnels espagnols, et il se signalera par son brillant courage au Trocadéro. Mais avant de l’autoriser à revenir à Turin, on lui fera signer un acte par lequel il s’oblige « à conserver intactes et les bases fondamentales et les formes organiques de la monarchie absolue, » et on lui donne à entendre qu’il ne pourra manquer à sa parole sans faillir à l’honneur. Du même coup, il est stipulé que le jour de son avènement, cet interdit se donnera un conseil judiciaire, formé des prélats piémontais et de tous les chevaliers de l’Annonciade. Lorsqu’il montera sur le trône, ce conseil le tiendra en tutelle ; il ne régnera que de nom, le vieux parti piémontais gouvernera pour lui. Ses sujets s’en étonneront ; l’engagement souscrit est demeuré secret d’état. On ne voyait pas sa chaîne, mais il en sentait le poids.

Cependant, la révolution, qu’on croyait avoir étouffée dans le sang, préparait clandestinement sa revanche, le carbonarisme travaille l’Italie. Dès 1846, l’effervescence va croissant ; un pape libéral semble