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276 REVT’E TïFS DFUX MONDES, des mains de Marie-Madeleine et. les secouer avec énergie. On eût dit qu’il voulait éveiller la jeune fille et que celle-ci était une som- nambule. A partir de ce moment, et rien n’étant résulté de ce nouveau procédé, il devint évident que la colère avait tout à fait gagné le nocturne visiteur. En effet, il changeait de place à chaque instant, allant et venant par la chambre, mais sans trop s’éloigner de la jeune fille et rétrécissant de plus en plus les orbes qu’il semblait décrire autour d’elle comme un véritable oiseau de proie. Et, que ce fût de colère ou de convoitise, ses yeux flamboyaient. Enfin, il eut un geste impérieux qui signifiait, ou que sa patience était à bout, ou qu’il avait le droit de parler en maître, et il saisit Marie-Madeleine par le bras. Celle-ci se déroba à l’étreinte avec une telle indignation que Frantz sentit comme une délicieuse fraî- cheur pénétrer tout d’un coup dans ses veines et calmer l’ardeur tumultueuse de son sang en révolte. Mais il y eut bientôt une nouvelle tentative, plus audacieuse ou plus violente, qui obligea la jeune fille à ouvrir sa porte toute grande en menaçant probable- ment d’appeler. Et, comme le baron faisait mine de refermer la porte, il devint certain pour Frantz que c’était désormais son droit et son devoir d’intervenir. — Marie-Madeleine n’était pas consen- tante; on paraissait vouloir la violenter; en tout cas, elle était lâ- chement attaquée et ne pouvait se défendre en appelant, puisqu’elle eût ainsi ruiné le bonheur et détruit à tout jamais le repos de sa cousine: il y avait de quoi justifier une intervention, même sans titre. Restait à en trouver la forme. L’intervention directe aurait eu l’avantage de satisfaire la rancune et les nerfs de M. Real. Mais elle aurait eu l’inconvénient grave de rendre immédiatement im- possible son séjour à Rubécourt, d’où il lui aurait fallu s’éloigner sur l’heure, sans même connaître les volontés non plus que la suite des aventures de M" e Hart. Quant à une intervention indirecte, c’était moins décisif et moins calmant peut-être, mais infiniment plus pratique. Un peu de bruit y devait suffire. Frantz redescendit donc en hâte, ralluma son bougeoir en pas- sant par le vestibule, s’arma d’un fusil de chasse qui faisait partie d’un râtelier d’armes placé dans le hall voisin de la salle de billard, prit deux cartouches dans un tiroir où il en avait vu un certain nombre le jour même, et, se postant à une fenêtre du rez-de-chaus- sée, lâcha ses deux coups de fusil dans la nuit, à la cantonade. Cela fait, il s’empressa de tout remettre en ordre, y compris l’arme fumante, qu’il essuya du revers de sa manche, referma la croisée ainsi que les contrevens, et gravit ses deux étages avec une mer- veilleuse agilité.