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28 REVUE DES DEUX MONDES. — Que voulez -vous dire? demanda M. de Buttcncourt assez em- barrasse. — Bon, bon, répondit M. Real, vous savez bien que vous ne m’aimez guère, et je le sais aussi... Pourquoi? Ce serait peut-être un peu long à déduire. Mettons, si vous voulez, qu’il n’y a pas d’autre raison à cette antipathie que la différence des milieux et des oc- cupations. Je suis, moi, une manière de savant et d’artiste, un écri- vain, et du genre sérieux... Je fus même un peu professeur pour mes débuts. Bref, je suis un grimaud, un cuistre... Vous êtes, vous, un homme du monde, un gentilhomme. Et, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse en vue d’établir le contraire, il n’y aura jamais beaucoup d’atomes crochus pour relier mes pareils aux vôtres... dont vous vous distinguiez pourtant, depuis que la courtoisie et même la politesse ont cessé d’être au nombre de leurs attributs, par une plus noble allure et de meilleurs dehors... — Mon cher, — interrompit M. deButtencourt, qui avait recouvré toute son aisance et qui reprenait le ton poli et Iroid qui devait lui être ordinaire, — j’aimerais presque mieux vous adresser des ex- cuses que d’écouter la leçon jusqu’au bout... Et, tenez, puisque, aussi bien, j’ai paru manquer d’égards à votre endroit, je m’en accuse et m’en excuse... Est-ce assez? — Je n’en demandais pas tant, déclara M. Real en s’inclinant avec un demi-sérieux. Ce que je désirais, l’occasion s’en présen- tant, c’était de préciser un peu ma situation à votre égard. Je suis votre hôte, mais je ne suis pas votre ami. Et, si j’ai renoncé à vous déduire par le menu toutes les raisons qui empêchent que je ne sois votre ami, rien de plus aisé, en revanche, que de déterminer celles qui m’ont fait votre hôte... Nous nous connaissions depuis longtemps lorsque vous avez épousé une personne avec laquelle j’étais lié, depuis plus longtemps encore, et qui veut bien me rendre un peu de l’estime et de l’affection que j’ai pour elle. M me de But- tencourt a beaucoup insisté pour je vinsse passer ici une partie de l’automne ; elle arguait de ma passion pour la chasse à courre. Po- liment, vous joignîtes vos instances aux siennes. Bref, j’acceptai. Et, jusqu’à ce jour, vous ne m’avez pas fait repentir de mon acceptation. Je devine que vous ne m’aimez pas... Je le sens même, mais vous ne me l’avez jamais fait directement sentir. D’ailleurs, il est bien évident que, s’il en eût été autrement, je serais déjà parti... Mais je puis partir... — M me de Buttencourt ne vous le pardonnerait pas et ne me le pardonnerait pas davantage, interrompit encore une fois le baron avec une politesse un peu figée. — Au surplus, reprit M. Real, mon séjour tire à sa fin. Je l’abré- gerai encore. Je partirai ces jours-ci.