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fut d’avis que le roi prît lui-même le commandement de ses troupes et qu’il s’efforçât de réconcilier les deux partis d’Hamilton et d’Argyle ; quant à prendre part lui-même à l’expédition, il en fut dispensé par les Écossais, qui déclarèrent ne vouloir ni de son concours, ni de sa présence. Une autre fois, comme le marquis de Montrose, partant pour l’Ecosse, lui demandait s’il ne se proposait pas de retourner en Angleterre, Newcastle l’envoya promener en toute courtoisie, lui représentant qu’il n’avait pas l’intention d’être homicide volontairement, en abusant de la confiance de tous ceux qui consentiraient à le suivre dans une entreprise irréfléchie, pour laquelle il n’aurait ni vaisseaux, ni approvisionnemens, ni argent. Les sentimens de son élève étaient à l’unisson des siens. Les Stuart ne brillèrent jamais par la reconnaissance ; et Charles II fut affligé au plus haut degré de ce vice du cœur qui leur fut commun à tous et qui, à chaque génération, découragea leurs serviteurs les plus dévoués ; et ce vice est chez lui d’autant plus choquant qu’il fut de tous le plus intelligent et le plus spirituel[1]. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Newcastle ait connu, lui aussi, les effets de cette royale ingratitude ; seulement, comme elle était difficile à afficher envers un homme qui avait rendu de tels services, elle s’enveloppait de déférence apparente et de respectueuse hypocrisie. En public, Newcastle était toujours le gouverneur bien-aimé ; le prince fréquentait son manège et se plaisait à faire l’éloge des leçons de son maître, en montrant, par son adresse d’écuyer, comme il en avait bien su profiter ; mais les sentimens secrets étaient à l’opposé de ces témoignages extérieurs. Les mots des princes ont toujours de la portée, même lorsqu’ils sont innocens, parce qu’il y a chez tous

  1. Nous ne pourrions dire si les Cavaliers survivans à l’époque de la restauration trouvèrent tous la juste récompense due à leur dévoûment ; mais nous savons bien que, pour ce qui eut des hommes de lettres, tous ceux qui avaient le mieux servi Charles furent payés de la plus complète indifférence. Voyez plutôt la triste aventure du pauvre Samuel Butler, l’auteur de ce poème d’Hudibras, qui vouait à un ridicule durable le parti puritain, sous la forme burlesque d’un Don Quichotte théologien. La plus complète indigence fut la seule récompense de ce service signalé, et cependant Charles n’ignorait pas l’auteur, car il avait lu son poème et il en avait fait ouvertement l’éloge. Abraham Cowley passa presque tout le temps des guerres civiles en France, au service de la reine Henriette, pour laquelle il déchiffrait les lettres du roi. Lorsque survint la restauration, Charles ne songea jamais à savoir s’il était au nombre des vivans. Certes, Edmond Waller, avec ses versatilités et ses faiblesses, fut un triste caractère politique ; mais Charles II n’avait pas le droit de juger de ce caractère, qui pouvait être mésestimé de tous, sauf de lui. Waller n’était-il pas, en effet, un des auteurs de la conspiration qui a gardé son nom ? N’avait-il pas joué sa tête dans cette affaire, où il gagna son exil et qui coûta la vie à ses complices ? Charles, cependant, feignit d’ignorer ce périlleux dévoûment, qui avait été un acte de repentir de ses précédentes ardeurs parlementaires, et ne voulut se rappeler que sa période d’opposition.