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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 100.djvu/416

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longtemps combattue par lui, une fois qu’il la jugeait nécessaire. C’était chose à tenter ; c’était chose où il y avait de l’honneur. C’était chose aussi où il y avait des tracas, et je crois bien que c’est un peu pour cela que Guizot s’y est refusé. Qu’on ne s’étonne point de voir attribuer un tel motif à un homme si courageux. Guizot travaillait, et toujours avec de nouveaux redoublemens d’ardeur, depuis trente-cinq ans, et depuis huit ans presque tout le poids du gouvernement, et encore plus presque tout le poids des discussions, était sur lui. Il me semble voir en lui, à cette époque, quelques traces de fatigue. La fatigue, chez les hommes énergiques, se manifeste par une certaine irritation et un certain entêtement.

Il résista. Certainement ce fut un malheur. Il aurait fallu, en France, ne pas arriver si vite à la démocratie pleine et entière. Il aurait peut-être fallu arriver à la république avant d’arriver à la démocratie. La France était beaucoup plus prête à celle-là qu’à celle-ci. Un pays est tout prêt à la république, et en vérité y est déjà, quand deux ou trois dynasties s’y disputent et y ont des partis considérables. Dans ce cas, la solution qui consiste dans l’exclusion de toutes les dynasties est bien près de s’imposer. A cet égard, la révolution de 1830, en créant une dynastie de plus, augmentait les chances de la république et en rapprochait l’échéance. La France, à partir de 1830, était donc bien en chemin pour la république. — Elle y était aussi pour la démocratie, mais cela pouvait attendre, et devait attendre. L’extension graduelle du droit de suffrage était la marche naturelle, sûre, et la plus exempte de périls. La France, amenée peu à peu à une monarchie parlementaire très semblable à une république un peu aristocratique, ou, si les circonstances le voulaient, à une république parlementaire, relativement aristocratique encore, c’était la transition évidemment naturelle et rationnelle entre la monarchie absolue d’autrefois et la démocratie pure vers laquelle le monde semble marcher. — À cette transition, Guizot pouvait aider, et la situation, même la situation parlementaire, semblait le lui prescrire. C’est un peu de sa faute (si tant est que, dans ce grand hasard de l’histoire, les fautes individuelles doivent entrer en ligne de compte), si l’inverse même de ce qui eût été bon s’est produit, si la France a été en démocratie avant d’être en république. La France, jetée en pleine démocratie en 1848, après quelques mois de gouvernement républicain ou plutôt de révolution, a été démocratie sans être république, pendant vingt et un ans, de 1849 à 1870, et n’est arrivée à la république qu’après vingt et un ans de démocratie non républicaine. Au lieu que c’ait été la république qui ait fait l’éducation de la démocratie, c’est la démocratie non républicaine qui a fait l’éducation de la république.