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à quel point ses idées lui viennent du dehors ; elles ne se sont point formées, avec l’homme lui-même, par une lente croissance sur le sol germanique. L’impression des idées françaises sur Hardenberg est avouée, elle éclate dans la page que nous avons citée. Il personnifie l’influence de la révolution française sur la Prusse, sur le seul peuple allemand qui ait entrepris de lui-même la réforme sociale, et qui ait mis son orgueil à ne pas la recevoir toute faite avec les formes mêmes de la centralisation française, des mains de la France.

C’est pour cela que les Allemands ont incontestablement effacé, atténué le rôle de Hardenberg dans la politique intérieure de la Prusse après Iéna. Ils ont exagéré l’importance de l’édit du 9 octobre 1807, tentative bien timide et bien incomplète encore, si on la compare à la législation de 1811 qui fut l’œuvre de Hardenberg lui-même. Et dans ce premier essai de réforme sociale, ils ont tenu dans l’ombre, au profit de Stein et de Shön, l’action de Hardenberg.

Sans doute, Stein apparaissait à tous comme le seul homme d’une trempe assez forte pour commencer ce que le parti féodal appelait la révolution d’en haut. Par son caractère même, et par l’opinion que les contemporains en avaient, il y a joué un rôle prépondérant. Sans doute on ne saurait oublier la passion de Shön pour les idées élémentaires de justice sociale, et son travail assidu au sein de la commission immédiate qui en prépara la réalisation. Mais Hardenberg plane au-dessus d’eux tous par la largeur de conception et la hauteur de vues avec laquelle il développe les idées directrices. Non-seulement il a su par une habileté politique de premier ordre introduire dans le gouvernement de la Prusse une politique nouvelle et diriger vers elle la volonté du roi ; non-seulement il a assuré l’arrivée aux affaires du seul homme qui pût lui succéder et poursuivre son œuvre ; non-seulement il lui a légué avec la commission immédiate l’instrument des premières réformes ; mais lui seul a su dès le début discerner avec clarté, exposer avec netteté et avec une singulière élévation les principes généraux qui devaient diriger ce qu’il appelait la régénération de l’État prussien, et ces principes étaient ceux mêmes de la révolution française.


G. CAVAIGNAC.