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exportées en 1888 par la fabrique lyonnaise, il n’est entré que 1,313,000 kilogrammes de soieries pures. On peut juger par ce chiffre du développement extraordinaire de la soierie mélangée, et il ne faut pas oublier que si l’étranger nous prend deux tiers de cette soierie, notre consommation intérieure en demande encore davantage. L’Angleterre et l’Amérique sont, en effet, les plus fortes clientes pour nos belles fabrications, et, d’autre part, pour les articles tout à fait inférieurs, les fabriques allemandes et suisses nous font une concurrence des plus redoutables.

Si nous sommes entrés dans ces détails, c’est qu’ils sont nécessaires pour bien expliquer les conditions économiques nouvelles de nos tissages amenés peu à peu à la fabrication intensive et, par conséquent, à une économie rigoureuse dans l’établissement des prix de revient. La consommation a multiplié ses exigences, ses caprices ; les dessins doivent être changés à tout instant, les étoffes varient sans cesse, comme matière première, comme trame, comme style ; aucune production ne peut se faire en grand, et pour longtemps ; les métiers doivent être prêts à s’arrêter et à repartir à toute heure, suivant les hasards de la mode et la rapidité des concurrences. Le succès est à celui qui apporte une nouveauté et peut la produire plus vite et à meilleur marché que les étoffes similaires. Le luxe n’est plus, comme autrefois, dans le prix de la matière première du vêtement et dans ses façons artistiques ; il est dans la consommation rapide, dans le renouvellement incessant d’étoffes de belle apparence, mais sans valeur et sans durée.

L’industrie française était d’autant plus mal placée pour supporter cette révolution économique que celle-ci tend à augmenter la part de la main-d’œuvre dans les prix de revient et que les salaires sont plus élevés chez nous qu’en Suisse et en Allemagne. Aussi cette substitution de l’étoffe à bon marché à l’étoffe de luxe a-t-elle été une véritable épreuve, non seulement pour nos fabricans, mais surtout pour nos ouvriers tisseurs, qui ont vu leur profession perdre son ancienne sécurité, donner des salaires moindres et devenir la proie des chômages. C’est grâce, on peut le dire, à la sagesse, à la prévoyance, à l’abnégation de nos canuts de Lyon, de nos ouvriers rubaniers et veloutiers de Saint-Étienne, que la soierie française a pu soutenir la concurrence d’industries étrangères protégées par des tarifs élevés, ayant la main-d’œuvre à bas prix et se dispensant trop souvent de toute dépense artistique en nous empruntant nos dessins.

Le fabricant a résisté par la science de ses dessins et le perfectionnement de ses procédés, par ses rapports constans avec Paris qui règle la mode, par le transport du marché des soies à Lyon, qui