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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/248

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existe une sorte de coalition ayant pour but de faire endosser à l’enseignement spécial la « toge classique » et d’en faire l’égal de l’autre sous les noms « d’enseignement français » ou « d’humanités modernes. »

Fort ambiguë est l’intention des partisans d’humanités modernes à l’égard des humanités anciennes. Les uns veulent la perte de ces dernières, les autres leur salut, et cela, chose merveilleuse, par les mêmes moyens ! Quand M. Frary se fait l’avocat du français et des langues vivantes, on sait quelle est sa pensée de derrière la tête : ceci tuera cela. Mais il en est d’autres qui croient, au contraire, soutenir les études classiques (comme la corde, a-t-on dit, soutient le pendu, en l’étranglant). Ces études, selon eux, deviendront le privilège de « ceux-là seulement qui en auront la véritable vocation. » Des hommes même comme MM. Gréard, Boissier et plusieurs autres, voudraient réduire les lycées classiques à douze ou quinze, pour créer une « élite de délicats. »

En réalité, le but auquel tendent avec plus ou moins de conscience les partisans des humanités modernes, c’est ou la disparition des « humanités anciennes, » ou leur étranglement progressif et leur restriction à un nombre d’individus de plus en plus petit, que l’on consolera de leur solitude en leur donnant, jusqu’à nouvel ordre, le nom flatteur d’élite. Ce but est en opposition avec celui que poursuivent actuellement l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, où l’on tend à rétablir, autant qu’il est possible, l’unité du véritable enseignement libéral, tout en laissant subsister un enseignement d’ordre inférieur et moins long, pour ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens de recevoir une instruction complète. Nous tendons ainsi, en France, à tout niveler dans l’enseignement, tandis qu’on tend ailleurs à tout coordonner hiérarchiquement. Il y a là de quoi susciter bien des réflexions et bien des craintes. La France a-t-elle raison de diviser, de fractionner, de désorganiser de plus en plus son véritable enseignement libéral, et cela pour y introduire un utilitarisme qui, jusqu’à présent, avait été chez nous inconnu ? C’est là un problème d’un intérêt vraiment national et international. Nous rechercherons si la solution ne serait pas la suivante : en premier lieu, maintenir l’unité de l’enseignement classique, tout en y introduisant une certaine variété d’études accessoires ; en second lieu, organiser fortement un degré d’instruction intermédiaire entre l’enseignement primaire et l’enseignement classique, mais sans vouloir égaler cet enseignement à l’autre, pour ne pas compromettre à la fois l’un et l’autre ; en troisième lieu, organiser non moins fortement un véritable enseignement professionnel et technique, qui manque dans notre pays.