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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/249

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I

On a beaucoup blâmé la bifurcation des lettres et des sciences sous l’empire ; ce qu’on prépare en ce moment, c’est en réalité une nouvelle bifurcation, plus précoce, plus radicale et plus irrémédiable, entre l’enseignement classique latin et l’enseignement classique français. Or on ne peut, sans les plus graves inconvéniens, établir deux types d’instruction divers déclarés équivalens et ayant des sanctions équivalentes. L’un tendra évidemment à supprimer l’autre. Examinons cependant les raisons qu’on met en avant pour sectionner l’enseignement secondaire en types séparés et prétendus égaux. Ces raisons, si on les systématise, rentrent toutes dans les quatre suivantes : approprier l’enseignement secondaire aux intelligences plus modestes, ou aux fortunes plus modestes, ou à la variété des aptitudes, ou enfin à la variété des connaissances théoriques et professionnelles. — Mais l’appropriation peut se faire de deux manières, ou par une diversité de degrés hiérarchiques dans l’enseignement, ou par une diversité de types déclarés égaux. Au lieu de la première solution, qui serait logique, on propose la seconde, qui est contradictoire. De l’inégalité dans les prémisses, on prétend déduire dans la conclusion l’égalité. En effet, choisissez-vous la première raison, qui est l’appropriation de l’enseignement aux « intelligences médiocres ? » alors n’ayez pas la prétention d’organiser, pour les médiocrités, un « enseignement classique français » ou des « humanités modernes » qui, dans votre pensée, deviendront équivalentes aux humanités anciennes et aboutiront aux mêmes diplômes. Si réellement elles sont plus à la portée des médiocres et exigent moins de travail, par quel miracle les résultats seront-ils à la fin « équivalens ? » De même, si vos humanités modernes s’adressent aux « fortunes modestes » parce qu’un tel genre d’études sera plus expéditif, comment encore soutenir la thèse de l’équivalence finale ?

La troisième raison invoquée pour sectionner l’enseignement secondaire en types égaux, c’est la diversité des aptitudes. Mais cette raison, plus spécieuse que les précédentes, n’est cependant valable ni en théorie ni en pratique, quand il s’agit de faire des études complètes et libérales. On la mit jadis en avant pour séparer les lettres des sciences ; or, en théorie, l’aptitude littéraire, loin de diminuer la nécessité des études scientifiques, l’augmente encore ; l’aptitude scientifique, loin de diminuer la nécessité des études littéraires, la rend plus urgente. La théorie se retourne donc contre elle-même. Voici un enfant qui a plus d’imagination que de raisonnement. Il faut, dites-vous, qu’il s’occupe de littérature et non de