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événemens pareils ne pouvaient s’accomplir sans être pour ces jeunes gens le sujet d’un trouble profond.

M. Alaux obtint le grand prix sans conteste. Le sujet du concours à la suite duquel il obtint cette récompense tardive était Briséis pleurant sur le corps de Patrocle. Le programme, emprunté à l’Iliade, était tiré de la traduction de Mme Dacier. Le tableau de M. Alaux est à l’École des Beaux-Arts ; il serre de près le texte. Briséis se jette sur le cadavre de Patrocle qui occupe le milieu de la scène. Achille, assis au chevet du lit funèbre, jure de venger son ami ; cette figure est habilement peinte. Je n’ai point à parler autrement de la valeur de l’œuvre. Les travaux de ce genre ont un caractère à eux. L’ouvrage de M. Alaux offre une composition claire, une exécution aisée. Il témoigne de tout l’acquis que l’on peut souhaiter d’un jeune artiste qui n’a plus rien à apprendre de ses maîtres. C’est le résumé de bonnes études. Ici se placent la conclusion et la justification de ce qui précède. Chose en effet bien digne d’être signalée ! au moment où M. Alaux devenait pensionnaire du roi en remplacement de Michel Drölling, sur les cinq élèves peintres de l’Académie de France, quatre étaient élèves de Vincent. C’étaient, par ordre de date : Léon Pallières, de Forestier, Picot et Alaux, le dernier venu. Thomas, un autre de leurs condisciples, devait les rejoindre l’année suivante. Bien plus, leur prochain directeur, Thévenin, qui allait entrer en fonctions en 1817, était élève du même maître. On peut donc dire que le succès des contradicteurs de David, des maîtres qui avaient maintenu les traditions de l’école française, était complet. Louis David partait pour l’exil, et son école était déjà finie : elle passait avec lui. Personne ne songeait à continuer son enseignement, personne, semble-t-il, ne voulait en assumer la responsabilité. Mais les idées qu’il avait combattues n’avaient rien perdu de leur vitalité. N’avais-je pas raison de le dire en commençant ? En dépit de théories absolues, la tradition féconde de la fin du dernier siècle, la tradition fondée à la fois sur l’amour de la nature et sur le respect de l’idéal, avait survécu à l’école de la révolution et de l’empire, comme elle survit encore au romantisme. Après Vincent et après Guérin, qui avait recueilli ses élèves, Picot ouvrit une école. Cabanel, après lui, continua à enseigner dans ce même ordre d’idées, que représentent aujourd’hui des maîtres renommés. On peut en médire ; mais, en matière d’éducation, c’est par eux que se maintient la tradition de l’esprit français.

Peut-être, en y réfléchissant, trouverait-on que les vies d’artistes tiennent trop de place dans l’histoire de l’art. Certes, l’étude des grandes personnalités qui se détachent de l’ensemble offre un attrait considérable. Mais la succession des faits et leur suite même