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être tranché. A la solution de la question romaine s’attachaient l’existence du pouvoir temporel, l’indépendance de l’Italie comme nation, et le triomphe d’un régime politique : le système mazzinien.

Tout cela, nous le comprenions ; mais en dehors d’un sentiment patriotique très fort sur lequel nous nous entendions, nous ne faisions pas de politique. Nous avions peu de journaux français. Nous étions abonnés au Journal des Débats. Parfois la Revue des Deux Mondes arrivait jusqu’à nous. Les communications étaient lentes, et nous n’attendions pas que les nouvelles de Rome nous revinssent de Paris, pour nous faire une opinion sur les événemens : nous nous décidions tout de suite en suivant nos impressions. Il y avait alors à Rome, à côté des journaux sérieux tels que le Popolo, le Contemporaneo et la Speranza, des feuilles comme le Sommaro, le Pallon’ volante, le Casotto dei burattini, dans lesquelles se retrouvaient, assombries, la verve satirique de Pasquin et la finesse de Cassandre. Celles-ci nous amusaient un instant ; les autres nous dépassaient. Abandonnés à nous-mêmes et vivant entre nous, nous n’avions aucun moyen d’aller au fond des choses. Ce n’était donc que très imparfaitement que nous savions combien la doctrine de Gioberti et celle de Mazzini étaient ennemies, que nous connaissions à quel point les théories fédéralistes étaient combattues par le système absolu des unitaires. Nous sentions bien qu’il y avait à tout ce qui se passait, de graves raisons. Mais à quels ressorts obéissaient les événemens, nous ne pouvions le pénétrer.

Ce qui nous frappait, c’était la rapidité avec laquelle se transmettait ce que partout ailleurs on eût considéré comme un mot d’ordre. Chaque matin, dans Rome, tout le monde disait la même chose en termes qui étaient les mêmes. Comment pouvait s’établir un pareil accord ? Il fallait bien reconnaître que chacun, selon l’occurrence, devinait ce qu’il convenait qu’il dît, que nous étions au sein d’une nation politique. Aussi avions-nous le pressentiment que l’Italie ne resterait pas divisée et que, en dépit de tous les obstacles, son unité se ferait un jour.

En attendant, nous formions des vœux pour sa délivrance, sans cesser, pour cela, d’être de bons Français. L’année précédente, quelques jeunes sculpteurs qui travaillaient avec nous en camarades s’étaient enrôlés pour cette campagne dans la Lombardie et dans la Vénétie qui devait finir à la capitulation de Vicence. Nous les avions vus partir avec une grande émotion. Lorsque plus tard les événemens prirent une gravité tragique, nous fûmes surpris que l’œuvre de la libération, qui nous semblait naturelle et juste, dût se poursuivre par des moyens que nous réprouvions. Les attentats qui se