Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/359

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bouvard, non moins célèbre que ses confrères, laissa surtout la réputation d’un faiseur de bons mots. Au plus fort de la vogue de l’écorce de l’orme pyramidal, une véritable panacée qu’on prenait en poudre, en élixir, même en bains, une de ses malades lui demande si elle doit y recourir : « Prenez, madame, et dépêchez-vous, pendant qu’elle guérit. » On prétend qu’il répondit à l’abbé Terray, qui se plaignait de souffrir comme un damné : « Quoi ! déjà, monseigneur ! » Mot mordant qu’il dut prononcer sur le malade, non devant le malade, et que l’esprit de parti démarqua pour l’attribuer plus tard à Louis-Philippe visitant Talleyrand à son lit de mort. Barthez, le type du médecin de dames, qui, par raffinement d’élégance, les saignait avec une ligature à glands d’or, arrivait à Paris précédé d’une grande renommée. Bouvard, qui ne se souciait guère de donner à ses boutades le cachet de la bonté, et qui craignait sans doute que le nouveau venu ne l’éclipsât, se fit interroger à son sujet : « Ce que je pense de M. Barthez, dit-il, c’est qu’il a bien de l’esprit, qu’il sait beaucoup de choses et même un peu de médecine. » Et, dans ses lettres inédites, de l’Isle rapporte cette venimeuse oraison funèbre du même Bouvard sur Bordeu, médecin de Mme du Barry, qu’il accusait d’avoir volé un client : « Je n’aurais jamais cru qu’il fût mort horizontalement. » Mais la comtesse de Bussy dédommagea Bordeu de cette méchanceté : « La mort a eu peur de lui, dit-elle, elle l’a pris en dormant[1]. »

Les jalousies entre médecins de cette époque peuvent marcher de pair avec celles de la nôtre entre artistes et comédiens : ainsi des confrères peu scrupuleux vont jusqu’à soudoyer les domestiques du fameux Pomme pour qu’ils versent du sirop de Rabel sur les purées de concombre et de chicorée qu’il composait pour ses clientes. Pomme demeura longtemps le grand médecin des femmes et garda jusqu’au bout ses dévotes. Partant de cette idée que les nerfs, en état de santé, sont en quelque sorte un parchemin trempé et mou, il prétendait que les vapeurs, cette maladie aristocratique, proviennent d’un dessèchement du système nerveux, et les combattait avec l’eau de poulet, le petit-lait, surtout par des bains tièdes prolongés. En quelques mois, une de ses clientes, Mme de Clugny, passa dans l’eau douze cents heures. Sylva, lui, fait appel à la coquetterie, et d’un mot guérit les belles Bordelaises de leurs

  1. Mémoires de la République des lettres. — Duc de Lévis. — Goncourt : la Femme au XVIIIe siècle. — Correspondance de Grimm. — Paris, Versailles et les Provinces au XVIIIe siècle. — Mercure de France, 1769. — Almanach littéraire de 1758. — L’Ami des Femmes, 1758. — Correspondance inédite du chevalier de l’Isle avec le comte de Riocour.