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Le peuple de Lorraine,
Qui l’a pris pour parrain,
Le long de la semaine
Vit sans avoir de pain…

Pareil morceau, flairant légèrement le scepticisme politique, avec un ragoût antireligieux, avait de quoi charmer Voltaire, qui, ne voulant pas être en reste, s’empresse de servir à l’auteur une légende. Pendant sa vie, saint Nicolas ressuscitait les matelots qui mouraient en mer. Après sa mort, son portrait devint la possession d’un Vandale qui croyait aux saints plutôt qu’à Dieu, et qui, allant en voyage, pria le portrait de lui garder son argent. Mais à peine fut-il parti, des voleurs envahirent sa maison et s’emparèrent du magot : à son retour, le Vandale battit l’image et la jeta dans la rivière. Saint Nicolas descendit du paradis, repêcha son portrait, le rapporta à l’hérétique avec son argent : « Apprenez, lui dit-il, à ne plus battre les saints[1]. »

Nous n’avons pas les lettres du chevalier au châtelain de Ferney : deux seulement ont été retrouvées, et j’en citerai quelques passages ; du moins permettent-ils d’apprécier le style et la qualité des complimens. Ce qui frappe dans cette correspondance, c’est la diversité du ton, selon le personnage auquel s’adresse l’auteur : les lettres à Voltaire diffèrent sensiblement de celles qu’il écrit au prince de Ligne, au comte de Riocour ; les premières plus substantielles et précises, mieux raisonnées, les secondes tout imprégnées de grâce légère, d’une allure badine et frivole, tandis que les lettres au cousin, parfois assez ternes, respirent un certain charme fait d’intimité, d’affection confiante, de détails de famille, auxquels se mêlent, comme par mégarde, les observations d’un homme qui voit le spectacle dans la coulisse.

Le 17 mars 1774, de l’Isle écrit à Voltaire : « L’Académie des sciences est très effarouchée. Vous savez, monsieur, qu’elle a, comme toutes les sociétés littéraires, le droit d’élire librement

  1. L’Apologie de saint Nicolas fut composée à Chanteloup en 1773. De l’Isle était un des principaux faiseurs de Choiseul contre la Du Barry et le ministère ; il écrivit à plusieurs reprises des couplets pour son protecteur, ceux-ci, entre autres, le jour de saint Etienne :
    Air de Joconde.

    D’Etienne comment voulez-vous
    Qu’on célèbre la gloire ?
    La mort, sous un tas de cailloux,
    Finit sa courte histoire.
    Mais s’il veut se donner un nom
    Plus brillant qu’aucun autre,
    Qu’il vous prenne pour son patron
    Au lieu d’être le vôtre.