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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/540

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Christ supérieur. Il s’était uni, un instant, à Jésus. La Rédemption, d’après eux, se réduisait à ceci : Jésus avait annoncé la Vérité ou le Dieu inconnu, il avait vaincu les puissances cosmiques, souveraines de ce monde qui paralysaient l’effort de l’être pneumatique ou spirituel vers l’être primitif. On n’était pas racheté par la foi en Jésus ni par les mérites du Rédempteur divin, mais par la Gnose, ou la connaissance de Dieu, des esprits ou Eons, de l’humanité et de leurs rapports. Il suffisait à l’homme d’être initié à la Gnose : cette initiation faisait de lui un être pneumatique.

D’après les dualistes, qui renouvelaient la doctrine des Perses, le monde est sous l’influence de deux forces opposées, émanées des profondeurs de l’Être : la lumière et les ténèbres. Le monde matériel est sorti des ténèbres, il est mauvais en soi ; mais la lumière triomphera et finalement délivrera les parcelles brumeuses captives dans les corps. Jésus, pour ces hérétiques, était vraiment le Christ, le Fils de Dieu en personne, mais ils niaient qu’il se fût véritablement incarné[1]. Il est facile de concevoir quels dangers la parole des apôtres devait courir en présence d’esprits qui, au lieu de la recevoir comme des enfans, suivant la volonté de Jésus, ne songeaient qu’à l’interpréter selon leurs opinions. Saint Paul, le fondateur de presque toutes les Églises d’Asie-Mineure, avait prophétisé le péril et mis en garde les chefs des communautés[2] contre ces maîtres qui viendraient corrompre la foi. De son vivant déjà, il les avait vus à l’œuvre ; il signalait leur perversité[3], et dénonçait leur science mensongère[4].

Ce péril est de tous les siècles cultivés. La plus grande difficulté pour l’homme est de se soumettre simplement à l’Évangile, et sa plus grande tentation est de vouloir le transformer à son gré, suivant ses propres systèmes.

Les gnostiques nient la divinité du Christ, en le réduisant au rôle d’Éon ou de force inférieure à Dieu. Ils méconnaissent le rapport essentiel et véritable qui relie Jésus à son Père, ils s’offusquent de son humanité qui le met en contact avec la matière, le principe du mal selon eux ; et ils la réduisent à une pure apparence. Ils refusent au Fils de Dieu et à celui qui s’est ainsi nommé une personnalité propre. Les Juifs convertis, connus sous le nom de Judaïsans, partagent quelques-unes de ces erreurs qui, en détruisant le Christ, ruinent par là-même toute son œuvre. Ébionites et Docètes se liguent, niant les uns l’humanité réelle, les autres la divinité de Jésus, et menacent le Christianisme dans son berceau.

  1. Ignace, Ad Smyrn., II. Cf. H. Timoth., II, 8-17.
  2. Act., XX, 28-31.
  3. I Timoth., I, 5-7.
  4. Id., 19 et suiv. ; VI, 20, 21.