Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/542

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui, le Verbe était, dans le Principe, auprès de Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise[1]. »

Cette expression qui traduit son Être divin, Jésus ne se l’est jamais donnée dans les discours que saint Jean lui-même rapporte. Elle n’a rien de commun avec le νóος des Grecs, le Verbe de Platon et de Philon l’Alexandrin ; elle rappelle plutôt « la parole » des Prophètes et la sagesse personnelle des Proverbes et des Livres sapientiaux. Peut-être Jésus l’a-t-il révélée à ses apôtres, lorsqu’il leur ouvrit l’intelligence des Écritures[2]. Aucune ne rend mieux ce qu’il est ; elle implique son origine éternelle du sein du Père, où le « Logos » est toujours vivant, sa distinction du Père d’où il émane, dans l’égalité d’une même vie, et le rapport de Dieu avec ce monde créé par le « Logos, » conduit par le Logos à travers le temps, et sauvé par le « Logos » fait chair. Toute la théodicée est fondée sur cette idée ; et il a suffi du mot divin qui l’exprime, pour mériter à saint Jean d’être appelé le Théologien et le Théosophe.

Comment le Verbe, Fils unique du Père, s’est-il révélé dans sa vie humaine ? Les Évangélistes répondent à leur manière : les trois premiers nous l’apprennent par le récit de ses enseignemens et de ses actes. Il enseignait, remarquent-ils, comme un Maître absolu, remettait les péchés, comme Dieu, et commandait à la nature, comme Celui qui n’a pas de supérieur, par sa force propre. Le quatrième Évangile nous instruit par les discours directs dans lesquels Jésus atteste lui-même sa préexistence, son origine éternelle, sa communauté d’essence avec le Père, sa puissance d’éclairer, de créer, de sauver, de donner la vie, de juger comme le Père.

Et, afin qu’il soit bien établi que ces discours ne sont point des compositions artificielles, ils ont été encadrés dans des faits précis, déterminés comme temps, comme lieu, avec un soin particulier, une intention marquée. La plus transcendante des révélations est ainsi présentée sous une forme sensible et populaire qui permet de lire la vérité divine dans des images saisissantes comme Jésus se plaisait à la montrer[3].

Les faits que l’Évangéliste rapporte sont tous, à l’exception de deux, — la multiplication des pains au désert de Bethsaïde, et la marche de Jésus sur les eaux du lac, — empruntés à des périodes de la vie de Jésus omises par les trois premiers Évangélistes. Le miracle des eaux montre en Jésus la puissance de transformer les

  1. Jean, I, 1.
  2. Luc, XXIV, 45.
  3. Cf. ch. IV ; VI ; IX ; X ; XI.