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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/549

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pensent, s’ils les scrutent d’un cœur droit et simple, seront vaincus par cette sagesse divine qui nous instruit du mystère de Dieu, en nous découvrant les misères de l’homme et le moyen de les soulager. Quelle autre science vaut la peine de vivre?

Il y a, dans l’histoire, deux sortes de documens : les uns sont une lettre morte, les autres sont vivans; les premiers, vrais débris des peuples, des sociétés, des civilisations, des races disparues, pierres et stèles gravées, parchemins et bandes de papyrus couverts d’hiéroglyphes ou de caractères d’une langue inconnue, n’appartiennent plus à personne ; ils sont tombés dans le domaine de tous, et ils n’ont plus l’esprit vivant d’un peuple pour les interpréter; les seconds restent la propriété d’un peuple, d’une société, d’une religion vivante. Ils sont écrits dans une langue qu’on parle et qu’on entend ; ils sont gardés intacts par ceux qui en vivent et qui en connaissent la valeur.

Tous les documens égyptiens, assyriens, phéniciens et autres sont de la première catégorie. Les Évangiles occupent le premier rang dans la seconde. Aucun livre ne mérite mieux le nom de vivant.

Ce qu’ils rapportent est la vie même de millions de consciences qui pensent comme eux, se dirigent d’après eux, se consolent en eux, espèrent par eux. Ils sont nés dans une société religieuse qui les regarde à juste titre comme son bien, ses titres de famille, un de ses plus précieux trésors. Cette société qui, sous le nom d’Église, couvre le monde, présente à tous son Évangile: mais il n’appartient qu’à elle de l’interpréter. Elle en est l’auteur, puisqu’il est sorti d’elle. Qui connaît mieux la pensée d’un livre? N’est-ce pas celui qui l’a conçu?

S’il fallait prouver cette vérité trop simple et cependant méconnue, je dirais à ceux qui l’oublient, à tous les exégètes qui ne font aucun cas de l’Église et de sa doctrine traditionnelle pour arriver au sens des Évangiles : lorsque vous voulez interpréter les documens morts, quelle méthode suivez-vous? Vous essayez de reconstituer le peuple auquel ils appartenaient, vous l’évoquez en quelque sorte, vous le ranimez de ses cendres, et, lorsque vous le voyez vivant devant vous, avec sa langue, ses mœurs, ses doctrines, avec toute son histoire, vous hasardez la lecture du document, et vous en donnez timidement l’interprétation, car la résurrection historique d’une civilisation finie, d’un peuple anéanti, est toujours imparfaite. Or, les documens évangéliques ne sont pas des documens morts, ils appartiennent à un peuple vivant, très vivant, qui grandit toujours, qui parle, qui enseigne, qui ne cesse de les interpréter, de les lire et de les raviver.