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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/578

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le Fils de Dieu dans l’immensité des siècles et au-dessus de la terre ; et leur personnage avait assez de grandeur pour répondre à tous les siècles et à toute la terre.

Cependant, nous qui n’avons pas vu comme eux le Christ vivre, agir et parler, nous qui ne le voyons que dans ce qu’il a d’éternel, ne nous est-il pas permis de le replacer dans son cadre terrestre et humain, dans cette terre de Palestine qui a gardé la trace de son passage et qui a été le témoin de sa vie? Nous sera-t-il interdit de le remettre dans ce milieu social juif, parmi les hommes qui furent ses concitoyens, parmi cette foule qui se pressait sur ses pas, en face de cette société judéenne dont il encourut la colère et dont il expérimenta l’opiniâtreté et l’aveuglement?

Non-seulement je considère cette œuvre comme légitime, mais elle me paraît indispensable pour l’intelligence de la vie de Jésus, de ses faits et gestes, de ses douleurs, de la forme de ses discours.

Un fait s’altère, isolé de son milieu. Si parfaite que soit une toile, elle veut son cadre vrai, harmonique, pour que la gamme des couleurs et des tons ne soit pas faussée et qu’elle prenne toute sa force.

Je me suis appliqué avec soin à encadrer la vie de Jésus dans ce que j’appellerai son milieu pittoresque ou géographique et dans son milieu social et juif.

Deux voyages prolongés m’ont permis d’étudier de très près la Palestine, la terre de Jésus. Je l’ai parcourue lentement, dans tous les sens, suivant les traces du Maître depuis Bethléem et Hébron jusqu’aux confins de Tyr et de Sidon et aux sources du Jourdain[1]. Je me suis arrêté longuement dans les lieux mêmes où Jésus avait le plus longuement vécu, le plus ardemment lutté et souffert, le plus enseigné, le plus aimé. J’ai essayé de les revoir tels qu’ils étaient, il y a dix-huit siècles ; leur désolation présente, leurs ruines amoncelées, les constructions élevées par la piété des chrétiens n’ont laissé subsister presque rien de l’état primitif. J’ai consulté les traditions vénérables, interrogé les voyageurs les plus experts, étudié les Évangiles surtout ; et je puis dire que je les ai vécus là-bas, sur cette terre où tout ce qu’ils racontent s’est accompli.

Ceux qui ont combattu la réalité de l’histoire de Jésus n’ont sûrement pas vu la Palestine ; s’ils l’avaient étudiée, l’Évangile à la main, ils auraient compris que l’Évangile ne s’invente pas.

Aucune vie ne présente à l’égal de la vie du Christ une harmonie

  1. Je dois à mon excellent et brave drogman, Melhem Ouardy de Beyrouth, une grande reconnaissance pour le dévouement et l’expérience qu’il a mis à mon service.