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et ressemblait à une vessie de porc frais. » Nous avons le détail d’une de ses maladies : les souffrances qu’il y endura furent atroces. Il disait qu’un roi doit savoir souffrir plus qu’un autre mortel, mais son stoïcisme était interrompu par des accès de rage. Sa dureté naturelle était alors portée à la fureur. Il ne faut jamais oublier, avant de juger Frédéric-Guillaume, qu’il a vécu dans les tourmens[1].

Il n’est pas vrai qu’il ait été foncièrement méchant et qu’il n’ait pas même aimé les siens. Il aimait assurément sa femme. A dix-huit ans, quand il l’épousa, il avait gardé une telle « modestie, » qu’il rougissait « lorsqu’une dame lui baisait la main par respect. « Il porta dans l’amour conjugal son tempérament. A vingt-cinq ans, quand il devint roi, il avait déjà eu cinq enfans. La reine lui en donna encore neuf. Il fut, jusqu’à la dernière heure, un époux fidèle. Des fortes tentations pratiquées sur sa vertu, pendant un voyage à la cour de Dresde, il sortit vainqueur. « Je suis revenu comme j’étais parti, » écrit-il après cette épreuve. Un jour, en voyage, il prit plaisir à causer avec une jolie femme : le général Grumbkow lui offrit de s’entremettre ; le roi le rembarra durement. Il entendait ne pas faire d’infidélité à sa Fieckchen, à sa Fifi, comme il appelait Sophie-Dorothée. Une autre fois, dans un escalier, il prit par la taille une demoiselle de la reine, et, comme il n’était pas expert en propos préparatoires, il lui proposa « tout de suite la chose. « Il reçut un soufflet : «Oh! le méchant diable, » s’écria-t-il. Ce fut toute sa plainte. Ces deux anecdotes, qui ne sont pas absolument certaines, composent son histoire galante, et dans quel siècle! Il avait de l’estime pour sa femme, et il en donna une preuve lorsqu’il partit, en 1714, pour la campagne de Poméranie. « S’il se passe quelque chose d’important, écrit-il dans son instruction à son conseil secret, vous le direz à ma femme et prendrez son conseil. Soll an meine Frau gefragt werden. » Frédéric-Guillaume est peut-être le seul Hohenzollern qui ait donné un ordre de cette sorte, car les reines en Prusse ne comptent guère dans l’état que par la maternité. Il ne demandait qu’à aimer ses enfans. Ses ordres pour l’éducation du prince royal témoignent d’une tendresse naïve : il veut que l’enfant aime son père d’une affection quasi fraternelle, toute de confiance et sans mélange de crainte ; il ordonne qu’on lui fasse peur de sa mère, s’il le faut, mais, de lui, jamais.

Il semble donc qu’il y ait l’étoffe d’un bon époux et d’un bon père de famille. Mais il entend commander chez lui comme dans

  1. Archives du ministère des affaires étrangères, Prusse, 1732, 26 janvier et 1er mars; 1734, 1er juin.