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visages de belles juives ou d’Européennes, et tout ce monde bigarré, si étranger l’un à l’autre, très proprement vêtu. Il n’est pas jusqu’au portefaix tunisien, le meskin, n’ayant qu’une chemise blanche l’été pour être plus au frais, et l’hiver un ample burnous frangé par l’usure, qui ne se distingue des Arabes pauvres d’Algérie, et surtout des Kabyles, par une tenue correcte. De toute façon, l’Africain du Nord possède l’art de se draper avec une loque, et sa pose diffère peu du noble maintien de ces Espagnols qui, dans la Vieille-Castille, au bord des routes, ont l’air de vous faire une grâce en acceptant l’aumône qu’ils vous demandent.

Le Tunisien des villes est doux, policé, très porté à s’assimiler les usages d’Europe. Un argument qui peut avoir son poids pour la construction prompte des voies ferrées en Tunisie est ce qui se passe dans la capitale relativement aux tramways.

Une compagnie a eu l’ingénieuse idée, depuis deux ans et demi, d’exploiter dans les faubourgs tunisiens trois petites lignes d’une longueur totale de 3 kilomètres 720; elle a transporté, dans le courant de 1888, 2,868,000 voyageurs, ce qui représente 19 courses par habitant. La recette brute s’est élevée à 62,000 francs par kilomètre. N’est-ce pas un mouvement merveilleux? Et d’autant plus merveilleux que les tramways des grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Nantes, n’ont réalisé que des sommes variant entre 50 et 60,000 francs? Deux lignes seulement de Paris, et deux lignes de Marseille et du Havre, donnent un résultat supérieur à celui de Tunis. Ne peut-on s’attendre à voir les habitans des villes de Soliman, de Nabeul, d’Hammamet, de Kairouan et du Sahel, dépasser e mouvement des indigènes algériens sur les lignes futures des voies ferrées tunisiennes?

C’est dans les faubourgs dont nous avons parlé, où tant de types divers, les descendans de tant de races différentes, Phéniciens, Carthaginois, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes, Turcs et Algériens, vivent entremêlés, que les peintres français, ~— et il y en a une colonie à Tunis, — recrutent leurs modèles et trouvent de curieux intérieurs. Grâce à M. de Landelle, dont le pinceau a reproduit avec grand talent les plus beaux types de race arabe et les sites africains les mieux colorés par le soleil, j’ai pu visiter une des habitations qui se trouvent éparses dans les faubourgs. Inutile de la décrire avec détail, car l’Exposition a rendu familier à tout le monde l’intérieur d’une demeure tunisienne : étroite porte d’entrée ouverte sur un couloir sombre, et conduisant directement à un éblouissant patio au-dessus duquel semble tendu un lambeau de ciel bleu. Des colonnettes de