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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/652

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vous opprime, opprimez-le comme il vous opprime (chap. II, verset 190). »

Ces deux citations suffisent, l’une pour montrer que la haine mortelle du chrétien est article de foi chez le mahométan ; l’autre, que la doctrine du Christ dépasse en charité et de mille coudées les préceptes du prophète arabe.


IV. — LES SOUKS, LA VILLE ARABE.

Il est un quartier de la capitale de la régence où l’animation est grande, rappelant, mais à un degré moindre, l’aspect de la foule qui, à certaines heures du jour, envahit, à Marseille, l’incomparable Canebière. Je veux parler de cette place minuscule appelée la place de la Bourse, où l’on entre aussitôt après avoir franchi la porte de la Marine. C’est bien là que bat le cœur de la cité indigène, de Tunis la blanche, de Tunis la sainte. Il est bon d’ajouter que, si les vestons de la Canebière y sont avantageusement remplacés par l’ample burnous des Africains, vous retrouvez, sous le feutre écrasé des Sardes, des Siciliens et des Maltais, les traits énergiques, les gestes vifs et les yeux expressifs des races latines. Entre ces types bien caractéristiques se distinguent encore les juifs et les bijoutiers et marchands d’étoffes des Souks et de la rue Sidi-Margiani ; ces derniers descendent directement des Maures d’Andalousie; indépendamment des traits physiques, on assure qu’ils ont gardé les défauts comme les qualités de ceux qu’ils avaient d’abord vaincus, et qui, par un fréquent retour des choses d’ici-bas, les vainquirent à leur tour.

C’est du haut de la Casbah qu’il faut regarder Tunis et ses environs. Le panorama merveilleux d’Alger venant à disparaître, ce serait là qu’on le retrouverait. Une avalanche de neige qui se serait brisée en mille blocs, et se serait déployée de vos pieds jusqu’aux bords d’un lac lumineux, telle vous apparaît la ville de Tunis lorsqu’un beau soleil inonde de lumière le versant du coteau sur lequel elle est bâtie. Çà et là émergent, ainsi que de fines aiguilles de glace, les flèches des minarets et les coupoles des mosquées Sidi-Mahrès et Olivier. Au loin apparaissent les hauteurs de l’Hammanlif, aussi nettement découpées dans le ciel que le sont, à Cannes, les massifs de l’Estérel par un clair crépuscule ; puis la Méditerranée et son horizon bien tranché; les coteaux où jadis fut Carthage et où aujourd’hui s’élève la chapelle de saint Louis; la Goulette, dont les murs blancs et les toits rouges, massés sur les rives du lac, la font ressembler à ces groupes de flamans roses que l’on voit ici s’ébattre, le soir, au bord des étangs, et s’élever au matin dans le ciel, comme de grandes fleurs d’hibiscus pourpres et ailées.