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prendre que ce qui ne leur conviendra pas. Si le dallali ou le crieur public vous voit d’un bon œil, peut-être vous facilitera-t-il, par une adjudication précipitée, l’objet désiré ; mais cette laveur est bien aléatoire. Le bey de Tunis, qui n’est tourmenté ni par ses nerfs, ni par un ministre orgueilleux, ni par les factions socialistes, ni par la terreur qu’il a de ses voisins, assiste fréquemment, du haut de la fenêtre de l’un de ses palais ouvrant sur les Souks, aux ventes à la criée, et principalement à celles où figurent des bijoux ou des diamans. Un souverain auquel notre protectorat permet de tels passe-temps, de si innocentes distractions, n’est-il pas le plus heureux des souverains ?

Le bey ne s’occupe pas toujours de futilités. Il se rend tous les samedis, dans un modeste équipage tiré par six belles mules, au palais du Bardo, où il rend la justice dans un local immense, ouvert à tout le monde et à tous les vents. Assis sur un trône quelque peu défraîchi, le bey écoute avec bienveillance tout un monde de plaideurs, de témoins et d’accusés. Quand ceux-ci en nage et épuisés se taisent, le juge souverain dit un mot, fait un geste ; cela veut dire que l’affaire est entendue et le jugement rendu. Si c’est un assassin que l’on amène devant le bey, le samedi à midi, le coupable, une heure après, est sûr d’être pendu. Aussi rien n’égale la sécurité dont les Européens jouissent en Tunisie. J’en sais qui l’ont parcourue à toutes les heures du jour et de la nuit, sans aucune crainte d’agression. Il en est de même dans les plus mauvaises ruelles de la capitale : les étrangers ivres y sont seuls à craindre.

Autour des bazars, il est des ruelles tortueuses, obscures, moins accidentées et plus sûres à divers titres que celles qui descendent de la Casbah d’Alger vers la mer ; comme les rues d’Alger, elles suivent la même direction pour aboutir, soit à la place du Marché, soit à celle de la Bourse. Toujours autour des bazars s’élèvent les maisons des Tunisiens riches. Ainsi que l’habitation arabe que j’ai décrite, elles n’ont d’autre ouverture sur la rue qu’une porte basse dont le cintre est souvent supporté par deux fines colonnes de marbre dérobées aux ruines de Carthage ou à celles des villes romaines. On remarque aussi, sur les murs extérieurs de ces habitations, de nombreuses pierres avec des inscriptions latines qui, parfois, rappellent la touchante épitaphe du jeune saltimbanque qui dansa, plut et mourut à l’âge de douze ans, à Antibes[1]. Ces palais des riches Tunisiens sont fermés, comme les plus pauvres

  1. DM.

    PVERI SEPTENTRIONIS ANNOR…
    XII QVI ANTIPOLI THEATRO BIDVO

    SALTAVIT ET PLACVIT