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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/670

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belge, il parut probable que le nouveau royaume serait acquis à tout jamais à la culture française. La moitié de sa population appartenait à la race celto-latine et ne parlait que le français. Dans les provinces flamandes, tout ce qui avait reçu quelque éducation, tous ceux que l’on appelait autrefois les honnêtes gens, savaient le français, et la plupart s’en servaient habituellement. Le français était la langue exclusive des débats parlementaires, de l’administration, de l’armée, des tribunaux, de l’enseignement moyen et supérieur, de la presse, de tout ce qui constitue la vie sociale et intellectuelle d’un peuple. Le voisinage de la France, l’invincible attraction de Paris, la contrefaçon bruxelloise même et le bon marché des livres dont elle inondait le pays, tout contribuait, avec la réaction naturelle contre les tendances du précédent régime, à favoriser le mouvement.

Au double point de vue de l’intérêt pratique et de la haute culture, il nous paraît douteux que les Belges aient eu à se repentir d’avoir choisi, entre les deux langues parlées dans le pays, celle qui était arrivée au plus haut degré de perfection, qui possédait la littérature la plus riche et qui était l’organe d’une grande civilisation, la plus avancée, quoi qu’on en dise, et la mieux équilibrée de l’Europe.

Il n’en était pas moins vrai que l’état de choses existant constituait, sous certains rapports, une flagrante iniquité. Le Flamand qui ne savait que sa langue maternelle se trouvait, en son propre pays, dans une condition d’infériorité absolue. Non-seulement il ne pouvait prétendre à aucun emploi, si modeste qu’il fût, mais il était exposé, devant les tribunaux comme dans les bureaux de l’administration, à tous les désagrémens qui sont d’ordinaire le partage de l’étranger qui ignore la langue du pays où il voyage.

Chose plus grave, pendant une période de transition, qui devait être fort longue probablement, il était menacé d’une véritable dégradation morale. Dédaigné, négligé, le flamand, qui ne servait plus qu’aux relations domestiques et familières du peuple et de la petite bourgeoisie, tombait de plus en plus au rang de patois. Personne, pour ainsi dire, ne se donnait plus la peine d’apprendre la langue littéraire, qui servait de peu et ne menait à rien. À parler correctement, on ne gagnait que de paraître pédant et ridicule. Aussi les dialectes en usage dans chaque ville, dans chaque canton, et que parfois on n’entendait qu’avec peine à cinq ou six lieues plus loin, allaient s’écartant de plus en plus les uns des autres et devenant de plus en plus grossiers. L’habitude de parler patois exerce une influence profonde sur le ton de la conversation et la tournure de l’esprit ; elle est pour ainsi dire incompatible avec