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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/714

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encore bon à montrer et pour les ennemis et pour les amis de la France, et pour l’étranger, toujours trop disposé à recueillir de nous l’aveu ou le témoignage de nos misères, et pour le pays lui-même, qu’on s’efforce d’égarer et d’exploiter. On le voit plus distinctement aujourd’hui; on voit mieux ce qu’il y a de factice dans tout ce tapage de charlatans déguisés en politiques.

Une des plus tristes faiblesses et même le crime des partis pervertis par les agitations révolutionnaires, c’est de finir par perdre le sentiment de toute responsabilité devant l’étranger, de ne plus se souvenir qu’ils sont observés, écoutés et épiés dans leurs actions et dans leurs paroles. Ils se croient quittes de tout parce qu’ils se disent patriotes, parce qu’ils se perdent en vaines déclamations, en fausses exaltations, ou parce qu’ils ne cessent de répéter, avec des airs de héros, qu’ils seraient prêts à marcher au jour du danger; mais c’est tous les jours qu’ils font le mal. C’est à chaque instant, par leurs passions, par l’excès de leurs polémiques, par le scandale de leurs accusations et de leurs flétrissantes divulgations, qu’ils compromettent la France. C’est en étalant avec une sorte de forfanterie leurs manèges, leurs vices et leurs corruptions qu’ils réveillent toutes les suspicions et donnent des prétextes à toutes les diffamations. On n’a qu’à les écouter et à les en croire : la France ne serait qu’un repaire de malfaiteurs, d’intrigans subalternes, d’agitateurs véreux ou vulgaires ! Les ennemis de notre pays n’ont qu’à recueillir ce qu’ils trouvent dans nos livres, dans nos journaux, pour écrire à leur manière l’histoire de l’avilissement de nos mœurs politiques, de la décadence de notre société! Les amis qui restent à la France pourraient eux-mêmes être tentés de nous regarder avec quelque ironie et ressentir quelque embarras, quelque hésitation en se demandant jusqu’à quel point on pourrait compter sur une nation si acharnée à se diviser et à se dégrader. Sans doute, avec un peu de réflexion, au lieu de se livrer à des dénigremens peu généreux, on pourrait se dire, au contraire, qu’une nation qui passe par de telles crises, qui subit de tels assauts et n’y périt pas, doit garder de singulières ressources d’énergie et de vitalité; mais les étrangers ne sont pas tenus aux interprétations bienveillantes, pas même à la justice.

La vérité est qu’amis ou ennemis se méprendraient étrangement s’ils attachaient trop d’importance à ces explosions passagères, que la France n’est pas plus atteinte dans son essence que bien d’autres pays; que, s’il y a à sa surface, dans des sphères limitées ou dans quelques coins obscurs de la société française, de singulières mœurs, la masse de la nation reste intacte, en dehors; elle est étrangère ou indifférente à tout ce tapage circonscrit dans un monde restreint. Pendant que les polémistes épuisent les divulgations, les récriminations, ou vident leurs querelles, que fait le pays, le vrai pays de toutes les classes pensantes et agissantes? Il ne conspire ni ne s’agite, il ne s’intéresse