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elle et la raison, ce ne fut pas le repos, pas même une paix armée, mais, tout au contraire, le travail interne d’une lutte égale, le corps-à-corps de deux athlètes. Rien ne diffère davantage du scepticisme que cette angoisse fiévreuse et militante où le doute, loin d’être un oreiller, est un aiguillon. A vrai dire, il n’y avait pas doute dans l’âme de Pascal, mais combat. Il ne s’agissait pas pour lui de décider si Dieu existe, le cœur le lui affirmait; ni si les livres sacrés sont véridiques, l’idée ne lui est même pas venue d’employer sa puissante critique à en discuter l’authenticité. Il ne se demandait pas davantage si l’instrument de sa torture, si la raison, est solide ou vacillant. Ah! que Montaigne devait lui paraître heureux de pouvoir ne s’y pas confier ! Tout en méprisant le scepticisme indolent de ce sybarite de la pensée, il se complaisait à en compter les oscillations, comme s’il y eût rêvé pour son tourment héroïque un berceau défendu. Il n’avait pas encore, durant cette douloureuse agonie, sommé sa raison de rendre les armes à sa loi et de s’avouer impuissante et traîtresse. Il cessait de la dédaigner comme il l’avait fait au début de cette conversion juvénile; il l’exerçait de nouveau avec assurance, aux spéculations les plus hautes, dans les heures de répit que lui accordait sa misérable santé, parfois même pour oublier son mal. Il lui restitua enfin la prédominance dans sa vie morale, mais la foi, au lieu de s’endormir en lui, de retomber dans sa première quiétude, ne se résigna point à une tiédeur qui n’était pas pour elle une défaite ; elle veilla toujours comme un instinct, comme la soif, que le bruit, l’application peut faire oublier ou combattre, mais sans nullement l’éteindre. Cette soif de Dieu allait bientôt crier au milieu des agitations du monde et des travaux de la science. Nous approchons du moment décisif où une étincelle mettra le feu à la mine, où le chrétien aura reconquis tous ses droits sur le penseur. Nous sommes en 1654 : « Il s’ouvrit à moi, écrivait Jacqueline à Mme Périer, d’une manière qui me fit pitié en avouant qu’au milieu de ses occupations qui étaient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvaient contribuer à lui faire aimer le monde et auxquelles on avait raison de le croire fort attaché, il était de telle sorte sollicité à quitter tout cela et par une aversion extrême qu’il avait des folies et des amusemens du monde, et par le reproche continuel que lui faisait sa conscience, qu’il se trouvait détaché de toutes choses à un point où il ne l’avait jamais été... »


IX.

C’est dans sa trente et unième année, à l’âge où Descartes estime que la maturité de l’esprit est complète et où il avait pris