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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 101.djvu/841

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ils ne nous apprennent rien sur ses habitudes physiques, sur son impressionnabilité organique et cérébrale, sur ses facultés de perception et d’observation, mais encore ils écartent toute chance d’explication psychologique, en nous laissant ignorer à quels événemens particuliers et à quelles réactions intimes correspond chacune de ses œuvres. Ni ses proches, ni ses disciples ne se sont avisés, — même au temps de la glorieuse vieillesse où il était devenu évident que d’un pareil homme rien ne serait, plus tard, indifférent, — de noter, au jour le jour, les voyages ou les courses qu’il faisait, les choses qu’il voyait, les gens qu’il rencontrait, les livres qu’il lisait, les récits qu’il en faisait, de manière à préparer la tâche à l’historien futur.

Il faut bien l’avouer, le maître lui-même, dans ses recueils qui comprennent des poésies de toutes les époques, souvent sans date, parfois même antidatées, n’a pas paru désireux de se prêter à une pareille recherche; et ses héritiers ont sans doute cru lui rester fidèles en prenant à tâche de l’entraver. Car on ne saurait interpréter autrement l’esprit dans lequel a été organisée, il y a deux ans, certaine Exposition des dessins de Victor Hugo, qui a achevé de désespérer les critiques ambitieux d’étudier sur textes le développement d’une imagination sans égale. Au lieu de grouper tous les croquis d’après leur origine et leur date, — ce qui eût permis de rapprocher de l’impression plastique les compositions littéraires qu’elle a inspirées, et de suivre, au cours de la comparaison, ces changemens imperceptibles, si gros de conséquences, que les années et les circonstances amènent dans les opérations élémentaires du cerveau d’un poète, — on a tout démarqué, tout mêlé.

Est-ce par crainte de laisser voir les matériaux dont se servait le poète, et, par là, de diminuer l’étonnement que cause sa puissance créatrice ? La foule seule peut être sensible à un souci de ce genre; et en effet, le mystère qui enveloppe les sources du Nil ajoute sans doute quelque grandeur à l’idée qu’elle se fait du fleuve. Mais le psychologue ne se résigne point à payer si cher la certitude de ne pas être troublé dans sa vénération, — et il persiste à chercher.

Quel recours lui reste-t-il donc, si tous les documens lui manquent? Un seul assurément, c’est de demander aux œuvres elles-mêmes le secret de l’obscure « collaboration de la nature de l’esprit » qui leur a donné naissance.

M. Hennequin, dans ses essais de Critique scientifique, a mis en jeu beaucoup de théorie et d’appareil pour établir cette vérité très simple qu’une œuvre d’art est toujours l’expression d’une personnalité physique et psychique déterminée, et qu’il est possible, en la considérant comme un signe, de distinguer la nuance de sensibilité et le tour particulier d’imagination qu’elle suppose chez l’auteur.