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où nous naissons, avec l’héritage vénérable de toutes celles qui l’ont précédée, devrait nous être aussi chère que la famille et la patrie, son héros ne trouve rien à regretter du passé. Il est vrai qu’au point de vue de l’art les États-Unis n’ont guère de passé, de traditions, ni de reliques. Malgré les progrès rapides et vraiment extraordinaires dont notre exposition de 1889 a donné la preuve, on peut dire que bien peu de peintres et de sculpteurs américains sont sortis du rang d’élève, ont secoué les lisières de l’école. Ils s’assimilent merveilleusement le procédé, mais il leur manque les dons de l’artiste, ceux qui sont le résultat d’un atavisme que rien ne saurait remplacer ; le sentiment de l’esthétique est encore à naître chez la plupart d’entre eux.

Nous nous souvenons qu’un Américain, de la plus haute culture intellectuelle pourtant, et familiarisé avec l’Europe par de nombreux voyages, disait en parlant de la Floride où il avait passé l’hiver, comme nous allons à Nice : « Vraiment toute l’Espagne est là; il est presque inutile d’aller la chercher ailleurs. On y voit même des ruines du XVIe siècle. » Et, comme nous faisions observer que ce ne devaient pas être cependant des ruines de premier ordre, la plus belle colonie du monde n’ayant guère qu’une architecture de province, comme nous parlions de Grenade, par exemple : « Oh! répondit-il, on a bâti à Saint-Augustin des hôtels de style mauresque qui valent les plus beaux palais. »

Il nous semble que cette appréciation peut faire mieux comprendre ce que sera vraisemblablement le genre d’architecture du Boston de l’avenir, tout marbre, tout or, toute magnificence et toute énormité, une architecture de casinos, de caravansérails, de grands magasins et de gares de chemins de fer. C’est faute d’une horreur suffisante du pastiche et de l’utilisation que le ressuscité s’extasie devant cette grande ville neuve. Nous allons entreprendre de faire bien connaître ce qui s’y passe, en effleurant seulement l’intrigue à peine esquissée dont le seul but est de dorer, comme on dit, la pilule, la pilule instructive qui dégoûterait beaucoup de lecteurs légers. Dans une préface, datée, 28 décembre an 2000, de la section historique de Shawmut Collège, où il est devenu professeur, Julian West a soin d’avertir son public qu’il poursuit un but sérieux, celui d’aider à voir clair les gens qui, désirant se faire une idée bien définie des contrastes sociaux entre les deux derniers siècles, sont arrêtés par l’aridité des ouvrages d’histoire et de science. Suivons-le sans trop de commentaires.

Le docteur Leete n’est pas seulement l’hôte de Julian West ; il est aussi son médecin et ne lui permet d’affronter que petit à petit le spectacle de la civilisation nouvelle, craignant que sa raison ne