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que traverse peut-être la triple alliance. Depuis quelques semaines déjà, il était annoncé et attendu, ce discours mystérieux, destiné, disait-on, à être une révélation, une sorte de manifeste retentissant partout. Le président du conseil du roi Humbert allait-il porter aux aimables Florentins un programme nouveau, à la veille des élections qui se feront d’ici à peu au-delà des Alpes ? Voulait-il saisir l’occasion d’exposer les affaires politiques et financières de l’Italie ? M. Crispi, en habile homme, a surpris un peu son monde; il a prononcé un discours qui est tout à la fois une déclaration de guerre à tout ce qui est révolutionnaire, à l’irrédentisme, c’est-à-dire à la revendication des terres italiennes séparées encore du royaume, — et une profession de foi en faveur de la monarchie, surtout en faveur de la triple alliance. La guerre à l’irrédentisme, la monarchie, la triple alliance, tout cela se tient! Sans doute, il y a longtemps déjà que M. Crispi a rompu ses vieux liens républicains, qu’il n’a point hésité à déclarer que la monarchie était la plus sûre gardienne, la seule garantie de l’unité italienne; il n’avait pas à renouveler sa profession de foi. Il y a moins longtemps, il faut l’avouer, qu’il s’est décidé contre l’irrédentisme; sa conversion est même d’une date assez récente, et en vérité il n’est rien de tel que d’avoir été un fougueux irrédentiste pour exécuter d’anciens amis devenus gênans, M. Crispi a fait son exécution avec dextérité, sans regarder derrière lui. Il a désavoué l’irrédentisme parce qu’il ne pouvait pas faire autrement, sans rompre avec l’Autriche, — et le premier objet qu’il se proposait était justement l’apologie de la triple alliance.

Au fond, c’est tout le discours de Florence. Ce n’est pas que M. Crispi ne mette bien des euphémismes dans son langage, et n’épuise l’art des ménagemens. Il tient, c’est assez clair, à être bien avec tout le monde, il a des sourires pour tout le monde, pour l’Angleterre, pour la France comme pour l’Autriche et l’Allemagne; il en aurait peut-être moins aujourd’hui pour l’Angleterre après l’échec qu’il vient de subir dans ses négociations avec lord Salisbury pour l’occupation de Kassala. N’importe, il veut être « l’ami de tous, » comme il le dit; mais le fond de sa politique, c’est toujours la triple alliance. Aux yeux du chef du cabinet de Rome, l’isolement a été un « désastre » pour l’Italie. C’est par suite de son isolement que l’Italie est sortie du congrès de Berlin déçue et frustrée dans ses ambitions, c’est-à-dire les mains vides lorsque l’Angleterre prenait Chypre, la France Tunis, l’Autriche la Bosnie! L’Italie n’est devenue réellement une grande puissance comptée et respectée, que depuis qu’elle est entrée dans la triple alliance ! c’est une manière d’écrire l’histoire diplomatique. A dire vrai, on peut se demander en quoi l’Italie a été frustrée au congrès de Berlin, ce qu’elle a perdu en Égypte, où elle n’avait alors rien à voir, à Tunis, où la France avait des traditions semi-séculaires de protectorat. On peut se demander aussi ce que