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l’Italie a gagné à la triple alliance, à cette fameuse ligue de la paix, par laquelle elle s’est obligée à garantir les conquêtes allemandes. On ne voit pas bien quel avantage elle a recueilli, même contre cet ennemi que M. Crispi appelle le « vaticanisme. » Est-ce que la triple alliance a empêché M. de Bismarck de choisir le pape comme arbitre dans un de ses différends? Est-ce que l’empereur d’Autriche s’est cru obligé d’aller rendre à Rome, auprès du Vatican, la visite qu’il avait reçue du roi Humbert à Vienne? En réalité, l’Italie n’a peut-être gagné à la triple alliance que d’y trouver des tentations périlleuses, des occasions d’épuiser ses finances et de compromettre ses relations commerciales.

M. le président du conseil de Rome ne tient pas moins à la triple alliance, et si les Italiens sont disposés à le suivre jusqu’au bout, à préférer les solidarités onéreuses à une complète indépendance de leur politique, c’est certainement leur affaire. C’est à eux de peser ce que leur a valu une combinaison d’ostentation plus flatteuse pour leur orgueil que favorable à leurs intérêts, ce qu’elle a déjà coûté à leurs finances, à leur commerce, à leur industrie. C’est à la nation italienne de savoir si elle doit sacrifier les réalités les plus évidentes à des chimères, si elle est intéressée à rester indéfiniment enchaînée à une politique étrangère de conquête et de force sous le prétexte illusoire d’assurer la garantie d’une alliance militaire à sa propre intégrité que rien ne menace. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’en se faisant le théoricien complaisant et même un peu platonique de la triple alliance, M. Crispi ne dit pas d’une manière bien précise si elle a été ou si elle sera renouvelée. Il la défend, mais sans trop se livrer lui-même, sans engager l’avenir. A y regarder de près, il ne serait point impossible de découvrir quelque réserve dans sa manière d’interpréter cette triple alliance, et les savantes circonlocutions dont il enveloppe les déclarations en apparence les plus décisives ne prouvent pas qu’il soit absolument sûr ni de ses alliés, ni de sa propre nation. C’est un chapitre des affaires contemporaines qui reste encore ouvert.

Certainement, la vie est quelquefois laborieuse pour tous les pays, pour les pays libres comme pour les autres, et la crise que vient de traverser la Suisse, qui est encore loin d’être close, n’est point sans quelque gravité. Ce qui s’est passé dans le canton du Tessin, à Bellinzona, à Lugano, c’est l’histoire de toutes les crises où les partis révolutionnaires prétendent disposer, par la force, de la légalité, du gouvernement régulier, — avec cette circonstance particulière toutefois qu’en Suisse les pouvoirs nationaux gardent le droit de s’interposer pour la défense de la loi dans les cantons. Aujourd’hui, les chambres helvétiques se sont réunies à Berne. Le conseil fédéral a eu à s’expliquer et sur la tentative de révolution du 11 septembre, et sur son intervention