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et c’est au conseil fédéral de remplir son rôle d’arbitre souverain en imposant aux uns le respect de la légalité, aux autres la modération.

Ce qui se passe en Portugal n’est pas moins grave que ce qui se passe en Suisse et pourrait même avoir des suites plus sérieuses. La vérité est que cette crise portugaise, provoquée par une sorte de révolte du sentiment national contre le traité avec l’Angleterre, se traîne depuis bien des jours déjà sans pouvoir arriver à un dénoûment. Elle se traîne et elle se complique. Depuis le jour où le cabinet de M. Serpa Pimentel est tombé devant les chambres, impuissant à soutenir le traité qu’il venait de signer pour le partage des territoires africains, bien des essais ont été tentés pour recomposer un ministère ; les échecs se succèdent, les embarras se multiplient. On n’a plus affaire, il est vrai, comme aux premiers jours de la crise, à des semblans de sédition, à ces meetings tumultueux qui ont un moment agité Lisbonne, Porto, les principales villes du royaume; on s’est trouvé en présence de difficultés intimes de toute sorte, les unes créées par les rivalités obstinées des partis, les autres assez obscures, assez mystérieuses. Le roi dom Carlos, à peine remis et peut-être mal remis d’une maladie grave, s’est adressé aux hommes les plus estimés, les plus considérés du pays, à M. Martens Ferrâo, naguère encore ambassadeur auprès du Vatican. M. Martens Ferrâo, en arrivant à Lisbonne, s’était sans doute flatté de pouvoir former un ministère de concentration nationale, et ce ministère une fois formé, il ne désespérait pas, à ce qu’il semble, de se faire appuyer directement par la diplomatie de l’Europe dans des négociations nouvelles avec l’Angleterre. Il n’a pas tardé à perdre ses illusions. A défaut de M. Martens Ferrâo, le roi s’est encore adressé à un vieux soldat respecté, au général Abreu e Souza, qui, malgré ses quatre-vingts ans, s’est mis à l’œuvre. Le malheur est que toutes ces tentatives semblent avoir rencontré jusqu’ici, soit dans les partis, soit peut-être au palais de Cintra, des résistances qui devront bien cependant finir par céder devant des circonstances impérieuses. Le plus pressant aujourd’hui à Lisbonne est d’avoir un ministère. C’est une nécessité intérieure, si on ne veut pas laisser l’opinion s’égarer, les passions révolutionnaires s’enflammer. C’est aussi, c’est surtout une nécessité extérieure, puisque le Portugal ne peut rester dans cette situation ambiguë, engagé par un traité et impuissant à le faire sanctionner par son parlement.. L’Angleterre a attendu jusqu’ici, elle attendra peut-être encore. Il est bien clair pourtant qu’elle n’est pas disposée à laisser mettre en doute le traité auquel le roi dom Carlos a souscrit, et pendant ce temps il peut se produire en Afrique, sur le Zambèze, des incidens qui peuvent réduire le Portugal aux extrémités les plus critiques. Le général Abreu réussît-il