Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/427

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

condamné à disparaître. Sous le règne d’Elisabeth, les lois relatives à l’apprentissage commençaient à arrêter l’essor des fédérations. Nul ne pouvait choisir un métier et s’établir comme patron sans avoir, pendant sept ans au moins, occupé la situation d’apprenti. C’était limiter la concurrence, restreindre, par conséquent, la nécessité de l’union. Plus tard, Jacques Ier décida que le taux des salaires serait désormais fixé par la magistrature, et cet arrêté célèbre, qui a si longtemps et si lourdement pesé sur le travail, devint la source d’interminables conflits ; les demandes d’augmentation étaient, bien entendu, systématiquement écartées ; dans certaines villes, les officiers de la couronne traitaient avec une rigueur inhumaine l’ouvrier récalcitrant ; on le saisissait, on le forçait à accomplir, moyennant une rémunération dérisoire, les tâches les plus pénibles. Rebelle, il lui était défendu de sortir le soir, heureux encore si la barbarie de ses maîtres ne le réduisait pas bientôt à la misère et à la mort. On s’étonne, non sans raison, qu’il se soit trouvé des associations qui aient résisté à ce régime. Pourtant, dans ces sombres jours de l’histoire du travail, quelques-unes réussissent à préserver du despotisme leur existence et leurs biens. Çà et là, on voit s’affirmer l’endurance et la ténacité rusée de la race. Les tisseurs, les maçons, les cotonniers, serrent leurs rangs et traversent, sans trop d’avaries, les bourrasques qui les assaillent. Le pouvoir hésite à toucher aux charpentiers de navires, corps précieux, fondateurs déjà respectés de la suprématie maritime du pays. Les autres sont obligés de se cacher ; traqués de tous côtés, ils prêtent entre eux le serment de rester fidèles à l’alliance ; ils dérobent aux recherches, on raconte même qu’ils enterrent leurs rapports, leurs livres de comptes et leur argent. Mais les traîtres sont de tous les temps ; résultats acquis, bénéfices, fortune, tout est à la merci d’une indiscrétion ; lorsqu’en 1799 George III interdit aux unions d’acquérir et de faire valoir des capitaux, ce prince n’aggrava pas sensiblement la condition misérable où ses prédécesseurs sur le trône avaient rabaissé les corporations.

L’enquête parlementaire de 1813 ne devait pas encore mettre fin à ces violences. Les conclusions des rapporteurs n’accordaient aux unions aucune protection légale. En revanche, les patrons étaient largement investis du droit de se syndiquer et de prendre toutes les mesures qu’ils jugeraient convenables pour conserver sur leurs hommes un ascendant absolu. C’était ouvrir, une fois de plus, l’ère des désordres. Il fallut qu’une deuxième commission procédât, en 1824, à un nouvel et plus sérieux examen de la question. L’enquête fut complète, approfondie, décisive ; l’aurore de la liberté commençait à poindre ; du même coup, les fédérations