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avaient gain de cause et la législation restrictive des siècles passés tombait en poussière. Malheureusement, la loi qui donnait à leur existence une consécration si longtemps attendue n’avait pas eu pour effet immédiat de pacifier la situation. Trop de secousses avaient ébranlé les cerveaux, aigri les caractères et découragé les espérances pour que, du jour au lendemain, patrons et ouvriers apportassent, dans leurs relations mutuelles, des sentimens de bienveillance et de respect. Animés du désir d’essayer leurs forces, les hommes abusèrent du droit à la grève. Les associations qui reparaissaient, sortant des ténèbres où elles avaient été ensevelies, semblaient n’avoir d’autre souci que de prolonger une lutte dorénavant sans objet et de se venger de leurs oppresseurs. Rien n’est plus dangereux que certaines armes quand ce sont des mains inexpérimentées qui les manient. On en fit la dure expérience. L’Angleterre se souvient encore des troubles de 1838 et de l’agitation prolongée dont sa capitale fut le théâtre en 1858. Ce n’est qu’en 1871, trois ans après la réunion du congrès de Manchester, qu’une loi nouvelle, et cette fois définitive, abolit les pénalités qui étaient encore, dans certains cas, applicables aux corporations ouvrières. Celles-ci entraient désormais en pleine possession de leurs privilèges. Elles n’allaient pas tarder à se placer au premier rang et à devenir l’un des rouages les plus importans de la vie économique de la nation.

Les barrières sont abaissées, l’élan est donné ; l’unionisme s’organise et s’accroît rapidement. Aujourd’hui, il n’est pas d’industrie anglaise de quelque valeur qui ne se rattache à une société, pas de société qui n’ait trouvé moyen de découvrir les débris isolés de vieilles communautés locales, de les englober, de prendre en mains la défense de leurs intérêts. Du reste, ces collectivités éparses ont une tendance de plus en plus accentuée à se réunir et à se grouper, et il n’y a pas grand effort à faire pour les décider à rejoindre le gros de l’armée. Plusieurs associations ont une existence déjà ancienne, remontent même au commencement du siècle ; mais elles ne datent, pour la plupart, que de la période d’affranchissement de leur histoire, c’est-à-dire de l’année 1860. Parmi les plus puissantes figure la Société générale des mécaniciens. Fondée en 1851, à la suite de la fusion complète de tous les corps ouvriers de la mécanique, elle possède d’immenses ressources. À l’origine, elle ne comptait que 1,200 affiliés ; le plus récent relevé de ses listes indique un total de 67,700 noms, et, détail significatif, la balance au crédit de ses écritures en banque se soldait, au 30 juin 1890, par une somme de 220,707 livres sterling. La fédération se subdivise en 450 branches, répandues dans le monde entier. Ses reve-