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qui débutait si mal qu’à son premier élan répondait une désespérance, au premier sourire de son être un lugubre désenchantement ? Pourquoi, dans sa candeur, avoir donné son âme à qui ne lui rendait rien autre que le tribut obligé d’une politesse mondaine ? Âmes de jeunes filles, âmes éprises d’idéal, énamourées d’extase et de poésie, vous ne soupçonnez rien des tendresses infinies dont vous êtes remplies qu’au jour où elles débordent pour le bien-aimé, mais, si, dans leur épanouissement, elles viennent à être repoussées, toute cette fleur d’amour qui était en vous se flétrit sous un vent de détresse qui brise parfois jusqu’à la tige qui l’avait formée !

Oui, il avait été le but des pensées de toute sa vie, elle s’en rendait bien compte maintenant. Toujours elle l’avait voulu très différent des autres, le plus noble, le plus droit, le meilleur. Dans ses songeries d’enfant, elle l’avait nommé le beau Percinet des contes de fée, plus tard, elle l’avait armé chevalier et lui avait confié la défense de toutes les saintes et grandes causes. Au plus avant dans la mêlée, bardé d’acier bruni, panache et pennon au vent, elle le suivait des yeux ; c’était lui qui moissonnait les infidèles ; c’était lui, dans les tournois, qui venait, visière baissée, frapper l’écu du vainqueur, par défi, et quand sonnaient les fanfares des hérauts d’armes, lui toujours qui, ferme en selle, couchait l’autre dans la poussière. Jeune fille, elle l’avait attendu, elle ne l’avait pas cherché autour d’elle, elle savait bien qu’il n’était pas là, dans un tel milieu, mais elle était sûre qu’il viendrait d’autre part. Et il était venu et il s’en retournait sans prendre garde à elle ; il la délaissait avec son rêve brisé, son pauvre amour détruit, ses chères joies envolées.

Maintes fois, elle avait cru être sur le chemin de ce cœur ardemment convoité, elle le devinait à un plus grand abandon, à un certain attendrissement, à cet amollissement révélateur de l’être, d’autant plus significatif lorsqu’il se manifeste sur une nature mieux trempée. Il lui paraissait impossible que lui ne s’attachât pas à elle, dût-il être simplement touché en la voyant si attachée à lui. Et tant d’idées échangées entre eux, qui toutes s’étaient mêlées dans une si sainte harmonie, cela ne comptait-il donc pour rien ! Apparemment cela n’avait aucune signification, puisqu’il avait suffi du manège d’une coquette pour faire évanouir tous ces souvenirs !

On le lui avait volé sans amour, par pure distraction, par simple gloriole de plaire, et cette coquette, c’était sa sœur, car tout était pour l’accabler en son triste roman…

Quant à cette âme si fière, inaccessible aux liaisons de contrebande, un seul regard de femme, un peu plus chargé de langueur