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Mazarin paraît non-seulement touché, mais convaincu. Il revient aux protestations d’estime et d’amitié ; il va plus loin, il encourage, il pousse Foucquet à faire une grande acquisition qui lui sera prochainement tournée à crime. Belle-Isle-en-Mer était un domaine de la maison de Retz ; suspecte au cardinal et criblée de dettes, la maison de Retz ne demandait qu’à prévenir une confiscation possible par une vente en bonne forme. Il fallait un acquéreur agréé du roi ; le roi désigna Foucquet. Les termes de l’acte royal sont très explicites : « Le roi, étant à Paris, ayant été informé que le sieur duc et la dame duchesse de Retz sont sur le point de vendre la terre et marquisat de Belle-Isle.., pour que cette place ne tombe pas entre les mains de personnes suspectes et qui n’aient pas toutes les qualités requises pour la bien défendre, a résolu d’engager un de ses plus sûrs serviteurs d’en traiter. Or il n’y a personne qui ait donné plus de preuves de son zèle et de sa fidélité que le sieur Foucquet… » Que pouvait-on dire de plus fort ? L’acquisition fut faite, le 5 septembre 1658, au prix de 1,300,000 livres,

Cinq mois après, il y eut une grande crise à la surintendance ; Servien mourut. Depuis longtemps il était malade ; depuis longtemps on se passait à peu près de lui ; mais enfin, il tenait nominalement la moitié de la place. Qui donc y allait être mis ? Qui ? Mazarin lui-même. Du moins il y songea sérieusement, et ce fut Colbert qui l’en dissuada. Colbert lui représenta « qu’il ne pourroit jamais retenir l’horrible corruption d’un homme dont sa signature autoriseroit les malversations présentes et même passées ; » après la paix, on réformerait tous les désordres. Cette réforme, elle était dans la pensée de Foucquet ; mais « la saison n’estoit pas propre à faire des règlemens nouveaux et à changer la forme des finances. » S’il y pensa, en effet, Colbert ne lui laissa pas le temps d’y travailler. Pour mieux accabler et perdre plus sûrement sa victime, il lui fit imposer la charge tout entière : le 21 février 1659, Foucquet fut déclaré seul et unique surintendant des finances.


IV

Pour le public, il était le plus fortuné des mortels. En effet, la fortune ne lui souriait-elle pas, à lui et à tous les siens ? Surintendant, ministre d’État avec séance au « conseil d’en haut, » procureur-général, il avait pour gendre un des quatre capitaines des gardes, un petit-neveu de Sully, Armand de Béthune, marquis de Charost ; son dernier frère, Gilles Foucquet, premier écuyer de la Petite-écurie, allait épouser la fille du marquis d’Aumont ; de ses autres frères, l’aîné, François, était archevêque de Narbonne ; un