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récemment publiée de Flaubert, qu’est-elle, en vérité, qu’un cours de rhétorique, où j’avoue d’ailleurs très volontiers qu’on trouve d’excellentes leçons ? En voici une qu’il me paraît piquant de relever au passage : « Nous nous étonnons des bonshommes du siècle de Louis XIV, mais ils n’étaient pas des hommes d’énorme génie, — et j’en connais au moins quatre sur lesquels il se trompe, — mais quelle conscience ! Comme ils se sont efforcés de trouver pour leurs pensées les expressions justes ! Quel travail ! Comme ils se consultaient les uns les autres ! Comme ils savaient le latin ! Comme ils lisaient lentement ! Aussi toute leur idée y est ; la forme est pleine, bourrée et garnie de choses jusqu’à la faire craquer. » Est-ce ou non de la rhétorique ? et je ne dis pas de la plus fine, — il n’y a guère de mot qui convînt moins à Flaubert, — mais de la bonne, et presque de la meilleure ?

Que si, cependant, ces considérations, un peu sommaires, ne réussissaient pas à désarmer et à toucher quelques dédaigneux, on leur en pourrait offrir de plus utilitaires, — et de fort érudites en même temps. On leur demanderait pourquoi les Latins et les Grecs ont si passionnément cultivé la rhétorique. Et je ne vois pas ce qu’ils pourraient répondre, sinon que, dans les républiques de l’antiquité, la parole étant une arme, quiconque voulait agir, il fallait bien qu’il en connût le maniement ou l’escrime ? Dans Athènes comme dans Rome, qui n’eût point su parler n’eût pas pu seulement se défendre, et il fallait qu’il fût à peu près immanquablement de la clientèle ou de la domesticité politique d’un plus éloquent. Lisez là-dessus Fénelon, dans sa Lettre à l’Académie. Nous donc, qui vivons aujourd’hui sous le gouvernement de la parole, dont on peut dire que nos intérêts quotidiens sont à la merci d’un discours ou de l’impossibilité d’y répondre, il nous faut apprendre à parler, et, comme les Grecs ou les Romains, nous avons de la rhétorique plus de besoin que n’en avaient nos pères. Nous en avons besoin, quand ce ne serait que pour rétorquer ou, comme on disait jadis, pour reboucher celle de nos adversaires… Mais si j’insistais sur cet argument, je craindrais de mêler, dans une question jusqu’ici toute littéraire, des raisons qui le seraient moins et que, pour ce motif, il me suffit d’avoir indiquées… Après tout, les grands ennemis de la rhétorique sont peut-être ceux aussi du gouvernement de la parole : la liberté qu’ils aiment est à la muette, et le droit qu’ils revendiquent énergiquement pour les autres, c’est celui de se taire.

Une autre raison me paraît d’ailleurs plus forte, et c’est par là que je veux terminer. On a rayé la rhétorique, voilà déjà quelques années, du programme de notre enseignement secondaire, pour l’y remplacer par de vagues « notions d’histoire littéraire ; » et, si j’ose prendre une fois la liberté de parler en mon nom, ce n’est pas moi qui me