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qu’eux, il n’avait songé à recourir à des allégories pour rendre sa pensée ; mais il s’était affranchi de toutes les conventions où peu à peu ceux-ci s’étaient embarrassés. Partant de l’étude directe de la réalité, il en avait dégagé les traits qui lui avaient paru les plus caractéristiques, et passant par son esprit, exprimées par son pinceau, ces vivantes traductions de la nature avaient revêtu une forme à la fois simple et inattendue, élevée et familière, qui parle puissamment à notre imagination. C’est la glorification de la science elle-même qu’il nous avait permis d’entrevoir à travers la Leçon d’anatomie ; c’est à cet héroïsme civique, qui devait conquérir l’indépendance de la Hollande, qu’il nous fait penser en peignant une Prise d’armes d’une compagnie de la garde bourgeoise d’Amsterdam et cinq marchands de drap réunis autour d’une table pour discuter les intérêts de leur corporation lui suffiront pour nous montrer dans des types inoubliables la représentation la plus noble que les portraitistes hollandais nous aient laissée de leurs compatriotes. Inspirées par la réalité, ces trois œuvres nous invitent d’elles-mêmes à en franchir les bornes ; elles nous parlent d’idéal, et, dans leur progression lumineuse, en même temps qu’elles marquent les étapes de cette vie glorieuse, elles restent comme les témoignages irrécusables de la supériorité que nous avons reconnue au maître sur ses devanciers, et que ses successeurs feront encore paraître plus éclatante.

La postérité a donc vengé Rembrandt des critiques passionnées qu’avait soulevées son œuvre chez ses contemporains ; mais on comprend qu’après un mécompte aussi sensible à leur amour-propre, les gardes civiques ne songèrent plus à s’adresser à lui pour de pareilles commandes. Parmi les autres peintres et parmi les disciples mêmes du maître, ils savaient qu’ils pouvaient trouver des artistes plus dociles, plus disposés à se conformer à leurs désirs. Van der Helst faisait bien mieux leur affaire. Déjà trois ans auparavant, il avait peint pour eux la Compagnie du capitaine Roelof Bicker devant la brasserie du Coq, fêtant la nomination de ses nouveaux chefs. Rapprochée aujourd’hui encore au Ryksmuseum, — comme elle l’était autrefois dans leur Doelen, — de la Ronde de nuit, cette grande toile continue à provoquer des comparaisons également fâcheuses pour ces deux ouvrages. On n’imagine pas, en effet, deux expressions de l’art plus dissemblables. Avec tout son talent, sa correction et son habileté irréprochables, Van der Helst perd plus encore que Rembrandt à ce voisinage. On sent trop, à ce terrible contact, ce qui lui manque de charme et de poésie, et forcément on devient injuste envers lui. Sans même parler de Rembrandt, on trouve qu’il n’a ni la magistrale virtuosité de Hals, ni la mâle distinction de Th. de Keyser, et au lieu de