l’amour soit malheureux, ou qu’il soit ridicule ; c’est assez qu’il soit sincère ; comme les peuples heureux, et quoi que l’on en dise, les amans heureux aussi ont une histoire ; mais il n’y a que les poètes qui soient capables de nous la conter.
C’est en effet la grande raison qui résume, qui domine, et qui passe toutes les autres : Shakspeare est Shakspeare, et, puisqu’il s’agit du Marchand de Venise, je ne puis résister au plaisir de citer ce duo du cinquième acte, si bien traduit par M. Edmond Haraucourt :
- O mon âme, vois-tu l’horizon nébuleux
- Frémir comme un chœur blond de sylphides dansantes
- Qui vont en secouant leurs robes sur les sentes ?
- Un frisson de parfums berce les bois troublés
- Et court sur les coteaux en caressant les blés.
- …….
- Par une telle nuit, du haut des murs de Troie,
- Troïlus exhalait sa peine vers la joie
- Et pleurait vers la tente où riait Cressida.
- Par une telle nuit, quand Thisbé regarda
- Le sentier qui menait vers l’arbre aux figues blanches,
- Elle aperçut, rampant parmi l’ombre des branches,
- La grande ombre d’un grand lion noir, et s’enfuit…
- Vois-tu son voile blanc ?
- Par une telle nuit
- Didon, seule, et mourant d’un mal inguérissable,
- Écoutait le sanglot des vagues sur le sable ;
- Et tant qu’elle put voir, au bord de l’inconnu
- Le dernier des vaisseaux qui fuyaient, son bras nu
- Secoua vers les mers le vain rameau de saule.
- Par une telle nuit, les cheveux sur l’épaule,
- La sombre Médœa vint cueillir le poison
- Qui devait rajeunir les baisers de Jason.
Par une telle nuit filait une gondole, Où l’amant trop heureux emportait son idole Et cette idole avait le nom de Jessica.
Mais, à ce propos, pourquoi dit-on que ce cinquième acte est inutile à l’action ? Parce qu’on a déchiré le contrat de Shylock et d’Antonio ? C’est oublier, me semble-t-il, que les amours de Bassanio et de Portia sont la cause du contrat, et que, par conséquent, si nous ne savons pas ce que les amans deviennent, la pièce n’est pas terminée. Puisqu’il y a deux