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une concession à l’humaine faiblesse Ils reprennent donc les versets dans le ton, d’une voix émue qui semble implorer grâce pour le martyre de leur oreille. Vous ressentez un double plaisir quand, des hauteurs vertigineuses de la musique sacrée, vous vous sentez glisser dans le suave des accens profanes, pareils à de tendres soupirs.

Vous ferez encore, pendant les offices, plus d’une remarque intéressante. Regardez bien les popes, et tâchez de fixer leurs traits dans votre mémoire. Cela paraît simple au premier abord. Vous comptez combien il en est de petits, de grands, de noirs, de roux, de gras, de maigres. Chez les uns, la chevelure tombe en longues boucles molles ; chez les autres, elle se déploie en éventail, comme celle de Menmon. Celui-ci étale une barbe longue et soyeuse ; celui-là n’apporte au pied des autels que des poils maigres et pileux. Maintenant, sortez de l’église, fermez les yeux et tâchez de revoir toutes ces figures : vous essaierez vainement de les distinguer les unes des autres. Vous n’apercevrez plus qu’un seul type de prêtre, immobile, hiératique, nasillant avec dignité. Bientôt ce type cessera de présenter les apparences de la vie. Vous verrez la face se décolorer peu à peu, les bras s’allonger le long du corps dans une attitude anguleuse, les yeux s’agrandir démesurément et le fantôme tout entier rentrer dans une muraille byzantine du Xe siècle, exactement comme au Roi d’Ys, le bon saint Colomban rentre dans sa niche après avoir chanté son couplet. L’illusion sera si forte, que vous éprouverez ensuite un certain malaise quand vous rencontrerez dans la rue ces vénérables icônes transformés en simples mortels et fumant des cigarettes. Mais c’est précisément ce que veut l’église orthodoxe. Il faut que, pendant l’office, le prêtre ressemble à une vieille miniature d’un livre de légendes. Sa messe dite, il peut faire ce qui lui plaît.

Sur l’assemblée, je ne veux rien dire de désobligeant, et je laisse à d’autres le soin de sonder les cœurs. Mais si l’on consulte les apparences, à la ville pas plus qu’à la campagne, on ne se croirait dans une maison de prière. Certes, l’intérieur de nos églises n’offre pas toujours un spectacle édifiant. Le va-et-vient de la foule, la hallebarde du suisse, le branle-bas des chaises, le petit commerce affairé des loueuses, ne favorisent guère la méditation. Telle est cependant chez nous la ténacité des fidèles, qu’ils arrivent à prier tant bien que mal, tout en cherchant leur porte-monnaie. Il y a des chapelles écartées où l’on peut faire son examen de conscience. On s’isole du mieux qu’on peut ; on se prosterne dans tous les coins. En Italie et en Espagne, où les chaises sont rares, les femmes se mettent à genoux sur la dalle et se frappent la poitrine dans l’ombre des piliers. Ici, il n’y a ni chaises, ni chapelles, ni piliers, ni coins