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le Mossi, atteint Waghadougou. Puis, redescendant vers l’océan, il a visité Salaga, Kintampo, Bondoukou, d’où il est retourné à Kong, et de Kong il a regagné la côte et les comptoirs français en suivant le cours du Comoé. Son voyage avait duré vingt-huit mois.

A l’unanimité, la commission des prix de la Société de géographie a décerné au capitaine Binger la grande médaille d’or. Le rapporteur, M. Duveyrier, a déclaré que ce voyage d’exploration, accompli en partie dans des pays entièrement nouveaux, comptait parmi les plus utiles et les plus fructueux. Le développement total de l’itinéraire, à la boussole, est d’environ 4,000 kilomètres ; les itinéraires par renseignemens atteignent près de 50,000 kilomètres, et tous ont été contrôlés. M. Binger a établi que, près de Sikaso, un massif montagneux sépare les affluens de la Bagoé, qui se jette dans le Niger, des affluens du Grand-Bassam et du Volta, et que cette portion du bassin du Niger devra être diminuée sur nos cartes de plusieurs degrés carrés. Il a relevé le premier le cours complet du Volta et prouvé que ce fleuve, ainsi que le Comoé, dont les sources doivent être cherchées sur le parallèle de Bammako, sont trois ou quatre fois plus longs qu’on ne le croyait. Il a constaté, après Barth, que la chaîne des montagnes de Kong n’a jamais existé que dans l’imagination de voyageurs mal renseignés, qu’on a souvent donné le nom de montagnes à des renflemens insignifians du sol et le nom de chaînes à des massifs isolés, que les plus élevés atteignent au maximum 1,800 mètres et ne commandent que de 900 mètres le terrain environnant, que les plus importans ne peuvent être comparés qu’aux Vosges dans la Basse-Alsace, entre Saverne et Bitche. Le livre que prépare le capitaine Binger nous procurera de précieuses informations sur la géologie et la flore des régions qu’il a parcourues, et aussi sur la faune humaine qui les habite, sur ses mœurs, sur les langues qu’elle parle, sur les religions qu’elle professe. M. Binger est entré en relations avec plus de soixante peuples divers ; grâce à lui. nous acquerrons des renseignemens certains sur des races inconnues, sur des États et des villes dont on ne parlait que par ouï-dire.

Pour faire de pareilles tournées sans rester en chemin, il faut être bâti à chaux et à ciment, il faut avoir cette volonté que rien ne rebute, cette obstination que rien ne lasse, il faut être possédé de ce démon qui, à l’heure des grands périls, donne le signal de détresse et les inspirations qui sauvent. Aussi robuste d’âme que de corps, le capitaine Binger est un de ces flegmatiques sanguins qui joignent l’audace à l’infinie patience. Il a subi de dures épreuves. Si vigoureuse que soit sa constitution, il a été dangereusement malade, une fois d’épuisement, par l’excès des privations, une autre fois de chagrin, dans un moment où il désespérait de pouvoir continuer son voyage. Il a vu des horreurs ; il a assisté au siège de Sikaso, capitale de Tiéba, attaquée par Samory. Il a parcouru des districts désolés par la guerre et la