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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/680

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surtout la reprise du thème par le piano en accords énergiques, et la conclusion, pleine de noblesse et de sérénité. Le finale, rythmé un peu à la zingara, débute par un motif joyeux et spirituel. Puis à un certain moment, Vallegro s’interrompt, s’entr’ouvre pour livrer passage à un chant plus lent, sorte de mélopée rêveuse et caressante. M. Grieg aime à couper ainsi un morceau par une échappée de fantaisie. Il a ménagé une éclaircie pareille et non moins charmante dans la dernière partie (si j’ai bonne mémoire) de son quatuor à cordes. La phrase nous a même paru identique et doit être une mélodie populaire.

Le concerto de M. Grieg a été exécuté au Châtelet par un artiste belge, professeur au Conservatoire de Bruxelles, M. de Greef, qui nous a étonné. Songez donc ! Un pianiste qui joue sans sécheresse ni dureté, qui prend les notes avec douceur, au lieu de les attaquer, comme tant d’autres, avec une violence véritablement agressive. M. de Greef obtient du clavier des sonorités moelleuses et rondes, des sonorités à longue portée, qu’il nuance, qu’il dégrade comme les peintres font de leurs couleurs, comme s’il n’y avait pas entre les cordes et les doigts de l’artiste ces affreuses touches d’ivoire et de bois, si souvent rebelles à toute expression et à toute poésie.

Ce n’est pas naturellement dans l’immense Châtelet que M. Grieg pouvait laisser chanter ses lieder, une des parties les plus intéressantes de son œuvre. Mais Mme Krauss en a très éloquemment interprété quelques-uns salle Pleyel, à la première séance de la Société nationale, toujours hospitalière pour les étrangers célèbres et au besoin pour les Français inconnus, ou méconnus. Un musicien du tempérament de M. Grieg devait réussir dans le lied, et le compositeur norvégien y excelle en effet. Là véritablement il rappelle un peu Schumann, même Schubert, les deux maîtres du genre, et parfois il n’est pas loin de les égaler. Comme Schubert, comme Schumann, sans avoir pourtant, cela va sans dire, donné un pendant au Roi des Aulnes ou à J’ai pardonné, M. Grieg sait trouver des phrases très brèves, mais très expressives, où se concentre une pensée, un sentiment ou une passion. N’eût-on qu’un souffle de voix et un méchant piano, on passe des heures charmantes à parcourir les lieder de M. Grieg. Il y en a de joyeux, mais c’est le petit nombre ; beaucoup de mélancoliques et de pénétrans ; les désespérés sont les plus rares. On ne trouve pas, je crois, dans les cinq recueils, un de ces cris d’atroce douleur que Schumann une ou deux fois a poussés. Mais, que de plaintes languissantes, que de souvenirs, de regrets, de désirs et d’espérances, quels menus détails d’âme, surpris et notés en quelques mesures, avec deux ou trois accords ! Ah ! les théâtres peuvent chômer ou même fermer leurs portes. Quelle mise en scène, quelle splendeur de décoration égalera jamais les spectacles intérieurs dont la musique suffit à nous enchanter ! Le vrai théâtre, nous le portons en nous. Qui sait ? Peut-être un