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marbre était-il entièrement peint ? L’emploi de la couleur a-t-il varié suivant les époques ? A-t-il suivi une marche progressive ou s’est-il restreint avec le temps[1] ? À ce point de vue, les fouilles de l’Acropole ont une importance capitale. Elles nous permettent de saisir sur le vif les premières applications de la polychromie à la statuaire en marbre, et cela, avec un luxe d’exemples qu’on n’aurait pas osé rêver. Les statues découvertes appartiennent en effet à une époque de transition ; elles datent du temps où les artistes commencent à transporter sur le marbre les procédés de peinture commandés par l’emploi de la pierre. Or, voyez la différence. Ici, vous ne retrouverez plus, comme dans la sculpture en tuf, ces tons largement étalés, cette sorte de badigeon barbare qui dissimule les défectuosités de la pierre calcaire. Sans renoncer à la peinture, les artistes se sentent en présence d’une matière plus noble ; ils respectent, comme par instinct, la blancheur du marbre, son grain fin et serré, son éclat doux et transparent ; ils lui donnent un rôle dans la tonalité générale. Dans les statues trouvées à l’Acropole, les chairs n’ont pas reçu de coloration ; seules, des touches rouges avivent le contour des lèvres et dessinent l’iris des yeux, tandis que la pupille est indiquée en noir ; le marbre suffit à donner l’illusion des chairs nues. Si l’on trouve encore, avant les guerres médiques, des statues où les nus sont revêtus d’une légère teinte rouge, il semble que ce soit l’exception. Ainsi compris, le rôle de la polychromie consiste moins à donner la sensation de la réalité vivante, qu’à rompre l’uniformité de ton du marbre, à égayer des surfaces trop claires, à souligner les détails, et à donner plus de valeur aux accessoires ; de même, pendant la plus belle période de l’architecture grecque, la peinture et la dorure ne seront pas répandues avec une indiscrète profusion sur toutes les parties de l’édifice, mais rehausseront avec sobriété les délicates nervures des oves, les yeux des volutes, les filets des chapiteaux. Que les sculpteurs grecs du ive siècle siècle aient continué cette tradition, cela n’est pas douteux ; l’Hermès de Praxitèle, dont les sandales sont dorées et les cheveux peints en brun rouge, témoigne suffisamment en faveur de la persistance de la polychromie. Mais tout nous porte à croire qu’elle tend à décroître et à occuper une place de plus en plus limitée.

Sans quitter la salle du musée où sont réunies les statues féminines qui nous occupent, bien d’autres questions sollicitent la curiosité du visiteur. Et d’abord, quelle était la destination de ces

  1. M. G. Treu a discuté ces questions dans une intéressante brochure intitulée : Sollen wir unsere Statuen bemalen ? Berlin, 1884.