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peine à croire que le goût des Grecs ait pu se résigner à cet arrangement, peut-être fort pratique, mais encore plus disgracieux. Des statues antiques abritées sous un parasol ! Voilà de quoi bouleverser toutes nos idées sur l’esthétique des Grecs. Un des jeunes archéologues des plus distingués de l’Allemagne, M. Studniczka, propose une autre solution, à laquelle nous nous rallions volontiers[1]. Suivant lui, cette tige aurait soutenu une sorte de fleuron de bronze, figurant une fleur de lotus, qui se serait épanouie au-dessus de la tête de la statue, et en aurait complété l’ornementation. Nous ne connaissons pas d’explication plus plausible ; à vrai dire, ce couronnement en forme de fleuron est bien dans le sentiment décoratif qui a guidé les sculpteurs et leur a inspiré l’idée de donner une colonne comme piédestal à leur œuvre ; ainsi conçu, l’ex-voto forme une sorte d’ensemble architectural ; la figure humaine y est subordonnée aux lois de la décoration monumentale, et dès lors le fleuron de bronze qui jaillit de la tête de la statue n’a plus rien de choquant.

On a déjà beaucoup disserté sur le nom qui convient à ces figures de femmes. Faut-il y voir des mortelles ou des déesses ? Reproduisaient-elles, dans la pensée des donateurs, l’image de la divinité à qui elles étaient dédiées, et devons-nous y reconnaître Athéna, la grande déesse de l’Acropole ? Plusieurs archéologues, en particulier MM. Reinach et G. Robert[2], adoptent cette opinion. Le problème est d’autant plus difficile à résoudre que nous avons ici sous les yeux un type de pure convention. L’art grec archaïque ne dispose, en effet, que d’un petit nombre de formes ; il n’a pas introduit dans les images des divinités ces délicates nuances, cette variété d’attributs qui nous font distinguer au premier coup d’œil une Héra ou une Déméter. Les statues de l’Acropole représentent en réalité, dans son acception la plus générale, un type féminin qui peut se prêter à toutes les attributions ; c’est la volonté du donateur qui lui donne sa personnalité, qui en fait à son gré une Artémis ou une Aphrodite. Cependant il serait étrange qu’à une date très avancée dans l’archaïsme, des artistes athéniens se fussent aussi peu mis en frais pour accuser par des traits plus précis la physionomie propre d’une déesse vénérée entre toutes. La poésie homérique avait trop brillamment dépeint Athéna revêtue de l’armure, couverte de l’égide, « arme horrible qui résisterait même à Zeus, » pour que l’art se contentât d’un type aussi peu déterminé. Les monumens archaïques prouvent d’ailleurs le contraire ; dès la

  1. Jahrbuch des arch. Instituts, II, 1887, p. 140.
  2. S. Reinach, Esquisses archéologiques, p. 142. — C. Robert, Hermes, XII, p. 135.