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étiquettes. Lorsque les radicaux se plaisent à invoquer une constituante, ils le font gratuitement, par amour de l’art, pour le plaisir de mettre le peuple en mouvement. Pour nombre de conservateurs, au contraire, ce n’était guère qu’une tactique. Quelle est la grande objection que leur lancent, à chaque scrutin, les républicains ? Vous voulez vous faire nommer pour renverser la république. À cette accusation, réitérée avec une injustice souvent consciente, les conservateurs répondaient : « Comment ! renverser la République ? Nous voulons que la constitution ne puisse être modifiée que par une constituante. » Il faut avoir vu l’effet de l’argument sur l’électeur, dans une réunion publique ; je sais plus d’un député qui lui doit son élection.

Ce n’est pas tout ; dans le tumulte du combat, les républicains ne semblent pas avoir compris la portée de l’évolution accomplie par la droite. En réclamant une constituante, en déclarant que la forme du gouvernement ne pouvait être changée que par une assemblée élue, à cet effet, par la nation, les conservateurs, de toute origine, se sont placés sur le terrain du droit moderne, de la volonté nationale. C’est là un fait considérable, qui pourrait adoucir l’âpreté des luttes de partis, si les partis avaient quelque esprit de justice. La gauche s’est refusée à le voir. Loin de leur en savoir gré, elle n’a pas pardonné aux conservateurs, aux anciens orléanistes ou légitimistes notamment, d’avoir osé proclamer ce qu’elle appelle la souveraineté nationale. On s’en est fait, contre eux, un grief de plus, tant il est vrai que, près des partis, les passions priment les principes. Il semblait qu’en s’en remettant, eux aussi, au suffrage universel et à la volonté nationale, les réactionnaires les plus endurcis fissent un pas notable au-devant de leurs adversaires. Il semblait que les adeptes de la souveraineté du peuple dussent se féliciter de voir les tenans du droit traditionnel, et jusqu’aux représentans attitrés du principe monarchique, reconnaître explicitement le droit de la nation, déclarer que, si jamais les institutions du pays devaient être transformées, ce ne pouvait être que du consentement du peuple. C’était, pourtant, l’ancienne France qui abaissait son drapeau devant la nouvelle, et le droit héréditaire qui s’inclinait devant le droit populaire. Libre aux champions surannés du droit divin de s’en scandaliser ; mais les démocrates qui font profession de tout faire reposer sur la volonté nationale ! N’était-ce pas là une victoire pour la France de la révolution, et, en même temps, un gage de paix pour l’avenir du pays ? Car, enfin, pour la première fois peut-être, depuis 1789, les partis se trouvaient d’accord pour dire à la nation qu’elle s’appartenait entièrement à elle-même, et que la France seule pouvait disposer de la France. C’était