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d’abord parce que c’est un penchant naturel aux hommes de vouloir être ce à quoi leur nature ne les destine point, ensuite parce que gouverner est toujours ce que tout homme ou toute corporation désire le plus. Le parlement ne peut pas gouverner, et il ne le doit pas. Il ne le peut pas, parce qu’il est un corps. L’action demande toujours un chef unique. Un parlement ne gouverne, quand il gouverne, que par un homme qu’il a investi de sa confiance ; ce qui revient à dire que tant s’en faut qu’il puisse gouverner qu’il ne gouverne que quand il abdique. — Le parlement ne doit pas gouverner, parce qu’il gouvernerait sans rapidité, sans secret et sans suite. Tout au plus une aristocratie très forte, très vigoureuse et très rigoureuse, concentrée en un conseil héréditaire et peu nombreux, a-t-elle pu, quelquefois dans l’histoire, mener un peuple. Un parlement moderne, c’est-à-dire plus ou moins démocratique, et tellement responsable devant le peuple, qu’il est toujours mené par lui, loin qu’il le mène, ne gouvernera jamais. Il s’accommodera, il imaginera non une politique, mais une série d’expédiens ; il subira, peut-être adroitement, l’histoire ; il ne la fera pas. Le parlement ne doit pas gouverner. — Pourtant il voudra prendre le pouvoir, et il pourra le prendre. Dès qu’il y a eu un parlement en France, la première chose qu’il ait faite a été de prendre le gouvernement ; la seconde, de subir celui de la foule. Vouloir gouverner, se résigner à être gouverné, c’est l’histoire du gouvernement parlementaire. Comment empêcher ces deux malheurs, en conjurant le premier ?

D’abord il faut tâcher d’ôter ses prétendus titres au gouvernement parlementaire. Les députés croient toujours qu’ils sont les représentans du peuple souverain et par conséquent souverains eux-mêmes. Ils disent couramment, ce qui est significatif : « Gouvernement parlementaire, gouvernement représentatif. » Ce sont des mots impropres, et c’est une idée fausse. Les députés ne sont pas les mandataires de la nation ; ils sont les représentans des intérêts de la nation, ce qui est très différent. S’ils étaient les mandataires de la nation, d’abord nous serions en république, ensuite ils représenteraient quoi ? des hommes, des hommes tout entiers, avec leurs passions, leurs désirs, leurs penchans, c’est-à-dire qu’ils représenteraient des forces. Mais la force ne se délègue pas. Elle est où elle est. Dès qu’il est établi que le député représente des citoyens, des hommes, un total d’hommes, il devient un contresens. Il ne devrait pas exister. Les hommes, au lieu de se faire représenter par lui, devraient se compter, et dire : « Nous sommes trois millions à avoir telle passion, vous êtes deux millions à avoir la passion contraire. C’est la nôtre qui va être loi. » Le