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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/411

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pas une apologie en forme. On lui objecte qu’il veut faire du christianisme une mode. Plût à Dieu qu’elle fût de mode, cette divine religion ! Voilà ce qu’il a voulu faire. Maintenant, l’a-t-il fait ? C’est ce qu’il n’a pas à décider lui-même. Il défend son but, son idée ; il en explique le sens et la portée. Quant au succès, il n’en répond pas, et ce n’est pas lui qui en est juge.

Il nous semble que sur tous ces points Chateaubriand a raison contre ses adversaires. Ceux-ci suppriment tout un côté de la question : c’est que le christianisme avait été attaqué lui-même par des armes mondaines et frivoles ; et surtout par l’arme du ridicule. Le véritable objectif que vise Chateaubriand, c’est Voltaire. Il le nomme lui-même : « Voltaire eut l’art funeste de mettre l’incrédulité à la mode. La religion a été attaquée par toutes les armes depuis le pamphlet jusqu’à l’in-folio. Un livre religieux paraissait-il ? L’auteur était à l’instant couvert de ridicule. » Comment donc combattre cet adversaire, jusqu’ici insaisissable ? Est-ce par les mêmes armes ? combattra-t-on Voltaire par l’esprit, l’ironie, l’arme du ridicule ? Mais pour l’emploi de ces armes, il était inimitable, incomparable. On avait essayé de se moquer de lui ; on ne l’avait pas pu. D’ailleurs l’ironie est un bon moyen d’attaque, mais un mauvais moyen de défense. Jamais on n’a rien établi par le ridicule. Il fallait donc, si l’on voulait vaincre, forger d’autres armes, employer d’autres ressorts : ce furent les armes de l’imagination et de la sensibilité. Enfin le rôle de l’ironie était usé. Le siècle avait vu de trop cruelles épreuves, de trop effroyables événemens pour être de nouveau sensible à la raillerie. On avait trop pleuré pour avoir encore envie de rire.

En outre, il y avait dans les critiques une certaine équivoque, un certain malentendu. Lorsque Chateaubriand disait que le christianisme était la religion la plus poétique, nous le comprenons aujourd’hui ; on ne le comprenait pas alors. Pour les hommes du XVIIIe siècle, la poésie était un art brillant et charmant, fait pour amuser les loisirs d’une société raffinée. Que Jésus-Christ fût venu dans le monde pour fournir des images à cet art, qu’il fût descendu sur la terre pour suggérer à Voltaire la tragédie de Zaïre, c’était une pensée ridicule et frivole, et même irrespectueuse pour la religion. Mais on commençait alors à entendre par le mot de poésie quelque chose de plus grave, de plus général, de plus humain, c’est cette sorte de sentiment qu’éveille en nous non-seulement l’art proprement dit, mais la nature et la vie. Il y a pour nous de la poésie dans la nature, de la poésie dans la vie : c’est une partie de la vie elle-même. C’est le sentiment qui nous envahit quand nous nous tournons vers l’aspect mystérieux et idéal des