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Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/412

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choses, vers l’inconnu. C’est ce sentiment qui nous a été révélé par Rousseau, par Chateaubriand lui-même et par Lamartine après lui. Il est éveillé par tout ce qui est beau et sublime, par tout ce qui est merveilleux et divin. À ce titre, on voit que la poésie n’est nullement séparée de la religion, et qu’elle s’y marie naturellement. La nouveauté de Chateaubriand a été précisément de découvrir et de faire sentir la poésie du christianisme. Qu’aux yeux d’un Bossuet, qui voulait partout, même en religion, du positif et du concret, cette manière de sentir eût paru encore passablement profane, cela est possible, cela est probable ; mais Fénelon a bien saisi quelque chose de semblable dans la religion, et Pascal lui-même, quoiqu’à un autre point de vue, paraît avoir été aussi subjugué par la poésie sombre et terrible du christianisme, comme Fénelon l’avait été par la poésie de l’amour chrétien. Il ne s’agit pas d’ailleurs ici d’orthodoxie, mais d’un sentiment profond et universel. Qui doute que depuis Chateaubriand la poésie de l’architecture chrétienne, la poésie des cloîtres, la poésie des divins apologues de l’évangile, la poésie de la terre-sainte n’ait été sentie par tous, même par les non-croyans ? C’est donc là un point où il est incontestable que Chateaubriand a vaincu Voltaire, et où il a eu raison.

Après l’objet de l’ouvrage vient le plan. Il est divisé en quatre parties : 1° les dogmes et les sacremens ; 2° la poétique ; 3° suite de la poétique ; 4° le culte. Ce plan fut fort critiqué ; l’Académie française, sans trop donner ses raisons, écarte l’ouvrage pour le plan aussi bien que pour le fond. Chateaubriand passe condamnation sur ce point. Il reconnaît que son livre manque d’unité. Il y a deux parties : d’abord le fond du christianisme ; en second lieu, son effet sur les beaux-arts. Mais il n’a pu trouver un plan complètement satisfaisant. Il en a essayé plusieurs dans les ébauches qu’il avait d’abord entreprises. Il s’est arrêté au sien, comme le meilleur, à considérer, dit-il, non la matière, mais l’ordre des preuves : 1° les preuves de sentiment ; 2° les preuves d’imagination ; 3° les preuves d’esprit, de sentiment et d’imagination à la fois. Cette justification est elle-même un peu arbitraire ; car on ne distingue pas bien dans l’ouvrage ces trois sortes de preuves, et cette division ne paraît pas répondre au plan adopté par l’auteur. Par le fait, ce plan, si l’on n’est pas trop minutieusement exigeant, peut se justifier beaucoup plus simplement. L’auteur considère d’abord le christianisme en lui-même dans ses mystères et dans ses sacremens. Puis, et c’est son principal objet, il le considère dans ses effets, et ces effets sont de deux sortes : ou bien esthétiques (et c’est la seconde et la troisième partie), ou bien pratiques et